Il y a quinze ans, elle foulait encore les parquets du championnat de France. Le handball féminin s’est à ce point développé que ces quinze années apparaissent comme une éternité. Capitaine de l’équipe de France quand celle-ci bataillait encore dans l’anonymat, pilier du club de Metz qu’elle a aidé à installer au sommet de la hiérarchie nationale, Corinne Krumbholz est également responsable du pôle de formation de Metz depuis près de vingt ans.

Il y a quinze ans, elle foulait encore les parquets du championnat de France. Le handball féminin s’est à ce point développé que ces quinze années apparaissent comme une éternité. Capitaine de l’équipe de France quand celle-ci bataillait encore dans l’anonymat, pilier du club de Metz qu’elle a aidé à installer au sommet de la hiérarchie nationale, Corinne Krumbholz est également responsable du pôle de formation de Metz depuis près de vingt ans. Femme de Défis avant l’heure, trait d’union entre le passé, le présent et l’avenir du handball féminin à travers ses fonctions successives, l’épouse de l’actuel entraîneur de l’équipe de France pose son regard sur la discipline.

– « Corinne Krumbholz, il y a vingt ans exactement, vous étiez la capitaine de l’équipe de France. A quoi ressemblait la vie d’internationale à l’époque ?
C’était quelque chose de confidentiel ! On était dans les profondeurs des classements, au-delà de la quinzième place mondiale, et absolument pas médiatisées. Il y avait moins de compétitions qu’aujourd’hui, il fallait se qualifier pour des Mondiaux A, B ou C. J’ai été en équipe de France de 1989 à 1994, et capitaine les deux dernières années. Mais je n’étais perçue comme une internationale que dans le cadre de mon club ou de la presse locale. En revanche, j’ai eu le privilège d’être détachée à l’UNSS après avoir passé mon CAPEPS de prof de sport en 1989. Je pouvais ainsi me consacrer au handball et m’entraîner deux fois par jour, ce qui était exceptionnel à l’époque. Je ne suis devenue professeur dans un collège qu’après mon arrêt en équipe de France en 1994.

Vous étiez donc l’une des premières professionnelles du hand féminin français ?
Non, car ça ne suivait pas au niveau salarial ! Je ne pouvais pas vivre du handball. A la fin, je touchais 4000 francs (600 euros). Pour une internationale en fin de carrière, c’est une somme ridicule comparée à ce que gagne aujourd’hui une joueuse du championnat de France. Et on n’avait aucune indemnité de stage en équipe de France. J’étais donc l’une des rares professionnelles dans l’organisation de mon emploi du temps, mais sans le statut ! Ca n’était d’ailleurs pas simple à gérer. Quand ça se passait mal en match le week-end, je me remettais beaucoup en cause, car je sentais beaucoup plus de responsabilités sur mes épaules du fait d’être détachée pour me consacrer au handball.

Avec le recul, comment avez-vous vécu votre expérience sous le maillot bleu ?
Je suis rentrée tardivement en équipe de France, car je n’avais pas le profil pour passer par un sport-études. C’est grâce à mon club de Metz que j’y suis arrivée, j’ai grandi avec lui. J’ai pris les choses comme elles venaient, je n’avais jamais programmé quoique ce soit. Aujourd’hui c’est très différent, les joueuses planifient beaucoup plus leur carrière. J’ai eu la chance de faire de belles rencontres, et de vivre les débuts de l’aventure tricolore. Je pense que je le dois à Olivier, qui était notre entraîneur à Metz jusqu’en 1995. C’est lui qui a imposé un entraînement par jour et qui nous a donné le goût de la victoire. Jamais je n’aurais pensé vivre tout ça, la coupe d’Europe avec Metz, les voyages avec l’équipe de France, le fait de mener de front trois carrières en même temps (mère de famille, prof d’EPS, et joueuse puis responsable du pôle de formation de Metz)… L’équipe de France n’était pas un objectif, mais un bonus. Je m’y investissais, bien sûr, mais ma priorité restait le club car j’y étais en réussite.

« AVEC L’ÉQUIPE DE FRANCE, J’AI APPRIS LA DÉFAITE ! »

Et sur le terrain, quels souvenirs gardez-vous de l’équipe de France ?
J’ai appris la défaite avec l’équipe de France ! J’avais la chance de beaucoup gagner avec mon club de Metz, mais quand on allait dans les pays d’Europe de l’est avec la sélection, on prenait des ‘dérouillées’… Elles étaient très, très en avance sur nous. On s’était rendues aux Etats-Unis pour jouer contre l’équipe américaine qui se préparait pour les Jeux d’Atlanta, c’était une équipe constituée de basketteuses et elles nous avaient battues… On a également disputé le Mondial A en Corée, dans les infrastructures des JO de Séoul. C’était dépaysant, tout comme les tournées au Japon. Je ne me souviens pas des scores des matches, mais des rencontres et des émotions vécues. Nous avions des joueuses de qualité, et même de grands talents comme Mézuela Servier ou Carolle Démocrite, mais on manquait de beaucoup d’exigence, de travail, d’organisation, de réflexion autour de l’activité.

N’éprouvez-vous pas de frustration de ne pas avoir fait partie de la génération qui a percé au plus haut niveau, au Mondial 1999 ?
Non, aucune. J’ai vécu un parcours exceptionnel, et j’étais arrivée au bout de quelque chose. Autant le hand était le centre de ma vie avant mon premier accouchement en 1995, autant ma vie de joueuse est devenue périphérique ensuite. Le sport de haut niveau demande de se mettre dans un état qui n’est pas normal. Mentalement, ce n’est plus la même chose quand la vie de femme prend le dessus sur la vie de sportive. J’ai refait deux saisons avec Metz entre 1995 et 1997, dans une atmosphère plus apaisée, en tant qu’ailière gauche alors que j’avais fait toute ma carrière comme pivot.

Quel regard portez-vous sur l’évolution du handball féminin français depuis le temps où vous étiez joueuse ?
Il s’est professionnalisé. C’est une révolution qui a permis de gros changements par rapport à la quantité de travail. Aujourd’hui, les joueuses vivent du handball, elles ne sont plus obligées de mener deux carrières de front. Il y a une économie du handball, même si elle reste fragile, et la médiatisation a progressé. Quand je vois les obligations des joueuses en matière de représentation, de rendez-vous avec les sponsors, ça n’a plus grand-chose à voir avec ce que j’ai vécu. Elles doivent avoir des compétences pour parler aux médias, c’est quelque chose qui s’apprend et dont nous n’avions pas conscience à l’époque. Il y a également eu de gros changements dans l’organisation. On s’entraînait souvent à 20h30, quand les garçons ou les autres disciplines avaient terminé. Les séances ont lieu plus tôt aujourd’hui, sur des sols mieux adaptés qui permettent d’éviter des blessures. De même, les équipes arrivaient souvent à la dernière minute pour les matches, il y avait un vrai désavantage à jouer à l’extérieur. Aujourd’hui, l’expression « on avait encore le voyage dans les jambes » ne s’entend presque plus.

« LE JEU S’EST ACCÉLÉRÉ ET DENSIFIÉ PHYSIQUEMENT »

Et sur le plan du jeu ?
La grosse différence, c’est l’athlétisation des joueuses. On ne travaille plus que sur le handball, mais sur la préparation physique et mentale, avec une grosse réflexion sur la récupération. Le jeu s’est accéléré. Même s’il y a encore une différence entre la LFH et le niveau international, ça court pendant une heure dans le championnat de France, ce qui n’était pas le cas auparavant. Les contacts sont beaucoup plus forts, il y a une véritable densification physique. Les arrières sont bien plus complètes aujourd’hui. Les grands gabarits profilés « tireuses de loin » existent encore, mais elles ont beaucoup enrichi leur gamme. La réflexion sur la défense a également beaucoup progressé. Ce secteur n’était pas négligé à Metz puisque nous avions Olivier comme entraîneur (elle rit), mais on y passe beaucoup plus de temps dorénavant à l’entraînement. C’est aussi parce que les groupes sont plus étoffés, avant il n’y avait pas assez de joueuses pour faire du 6 contre 6 à l’entraînement !

Qu’est-ce qui a permis cette évolution ?
Le facteur principal, ce sont les pôles de formation. La culture handball se construit là aujourd’hui. Une joueuse de vingt ans n’a pas le même vécu ni le même niveau de connaissance de son activité que de mon temps. Moi, j’ai entendu parler de tactique et d’organisation collective assez tard dans ma carrière. J’ai toujours eu des choses à apprendre, même en jouant jusqu’à 32 ans, ce qui était alors assez long.

Justement, vous êtes aujourd’hui responsable du pôle de Metz… La formation est-elle très différente aujourd’hui ?
Mon travail au pôle est une superbe manière de prolonger ma passion pour le handball, il est dommage que peu de femmes s’engagent dans cette voie. Je dirais que la détection n’a pas beaucoup changé, dans le sens où les critères de taille et de qualité physique existent toujours, mais on recherche davantage un équilibre entre le gabarit et les qualités de handball. C’est surtout le contenu du travail de formation qui a évolué. Il ne s’agit plus d’être hyper profilé dans un domaine. On fait davantage travailler les grandes. Le fantasme sur les joueuses de grande taille est bien plus nuancé qu’avant. Les pays nordiques ont prouvé qu’il n’y avait pas forcément besoin de faire 1 m 80 pour jouer sur la base arrière.

Le rôle de capitaine, que vous occupiez, a-t-il également changé ?
Je ne sais pas vraiment, mais je ne crois pas. Le rôle de capitaine, ou l’importance des leaders, reste primordial. J’ai peut-être hérité de ce rôle parce que j’ai eu un long parcours dans un seul club, j’étais donc porteuse de certaines valeurs à transmettre. Et puis j’étais quelqu’un de combatif et d’exigeant. Mais être un leader ne fait pas tout, il faut ensuite que les autres vous suivent, et ça n’a pas toujours été simple. La première fois que j’ai mis les pieds en équipe de France, des filles contre lesquelles je venais de jouer et de marquer onze buts deux jours plus tôt m’ont demandé : « t’es qui, toi ? » Plus tard, j’ai également entendu que personne ne voulait s’entraîner avec moi car j’étais toujours à fond ! Le handball était surtout perçu comme un loisir pour la plupart des joueuses. Aujourd’hui, on a tendance à tout vouloir tout de suite. Moi j’ai été patiente, je me suis battue pour avoir du temps de jeu, alors qu’on était quatre pivots au début. C’est le fait de me battre et de m’investir qui m’a construite et qui m’a plu, ce n’était pas une fin de soi.

« LA RÉUSSITE DE METZ EST DUE À PLUSIEURS PERSONNES QUI ONT ÉTÉ LÀ AU BON MOMENT »

On imagine que ça doit pas mal parler handball, à table le soir chez les Krumbholz…
Oui, je parle régulièrement de handball avec Olivier. On regarde aussi des matches ensemble, c’est une passion qui nous rassemble. Bien sûr, je suis les grands championnats internationaux devant la télé, par plaisir et non par obligation ! J’essaie de regarder ça avec un regard détaché, ce qui n’est pas évident, et d’être un soutien dans les moments difficiles. Quand j’étais en équipe de France, c’était l’inverse, c’est lui qui comprenait et acceptait mes absences.

Sept internationales françaises évoluent aujourd’hui dans les plus grands clubs d’Europe. Quand vous étiez joueuse à Metz, vous avez connu la situation inverse avec l’arrivée de la première étrangère de renom dans le championnat de France, Zita Galic. Qu’est-ce que cela a représenté ?
Quand elle est arrivée, on avait conscience qu’elle allait apporter un plus extraordinaire, mais on ne s’est pas rendues compte tout de suite que ça allait tout révolutionner. Elle nous a aidées à passer des palliers en tant qu’équipe. C’était la tireuse, la buteuse. En tant que pivot, j’ai aussi brillé grâce à elle et à ses passes. Je suis très vite devenue une amie très proche. On continue d’ailleurs de se voir et de se rendre visite. Quand elle est arrivée à Metz, elle s’est demandée où elle avait mis les pieds ! Olivier, alors entraîneur, lui a demandé quel numéro elle voulait. Elle a répondu le n°4, et il lui a dit que ce n’était pas possible car c’était mon numéro, celui de sa femme… Et quand on est parties en stage de préparation avec des vélos dans la soute, pour pouvoir se déplacer sur place, elle se demandait si elle était venue dans un club de hand ou de vélo ! Elle s’est posée pas mal de questions au début, mais aujourd’hui elle dit qu’elle n’aurait pas pu trouver mieux que Metz.

Metz, justement, est toujours au sommet, vingt-trois ans après votre premier titre de championne de France. Est-ce une fierté ?
Oui, bien sûr. Je pense que la réussite de Metz est due à plusieurs personnes qui ont été là au bon moment. Sans Thierry Weizmann et sa volonté de sortir le club des problèmes financiers ces dernières années, Metz ne serait plus là aujourd’hui, ou en tout cas pas dans cette position. Le fait qu’Olivier ait croisé la route du club est aussi un moment fort de l’histoire de Metz. L’histoire continue aujourd’hui, j’espère pour encore longtemps. Mais c’est devenu bien plus difficile de gagner. On a eu le tort de considérer que remporter le titre était quelque chose de normal à Metz, alors que tous travaillent beaucoup partout ailleurs. Ce train-train s’est brisé, le championnat s’est densifié et a maintenant plus de piment. »

Crédit Photo : Maury Golini, Le Républicain Lorrain.