– « Raphaëlle, vous aviez fait vos adieux à l?équipe de France au lendemain du quart de finale olympique perdu face au Monténégro. Pourquoi avoir changé d?avis ?
Pour plusieurs raisons. D?abord, ce n?est pas moi qui ai pris l?initiative. Olivier m?avait laissé la porte ouverte après les Jeux, et il m?a rappelée cet automne. Je voulais attendre de voir comment je serais physiquement avec la Ligue des Champions, et puisque ça va bien de ce côté-là, j?ai accepté de revenir et de tenter l?aventure. Les conditions s?y prêtent, avec une préparation courte avant l?Euro, de seulement deux semaines. Une autre raison est que l?Euro post-JO sert traditionnellement de reconstruction pour pas mal d?équipes, ce qui ne sera pas le cas pour la France. Nous étions déjà parmi les favorites aux Jeux, nous aurons donc un coup à jouer sur cet Euro. En plus, on n?a jamais vraiment brillé sur cette compétition, notre meilleur résultat est une médaille de bronze (en 2002 et 2006). Mais la véritable raison pour laquelle je reviens, c?est pour finir sur une bonne note. Je suis frustrée de la fin des Jeux. Je n?ai pas envie de terminer là-dessus, je veux finir sur du positif. Je ne serais pas revenue si nous étions rentrées de Londres avec une médaille. Cet Euro est une nouvelle et ultime opportunité. Ce sera ma dernière compétition, la der des ders, cette fois c?est sûr !
Vous revenez donc pour gagner l?Euro ?
Je ne reviendrais pas si ce n?était pas pour gagner, mais je ne peux pas dire aujourd?hui qu?on va gagner l?Euro. Beaucoup de filles ont changé de club cet été, c?est dur de savoir comment on sera, physiquement et mentalement. Les Jeux olympiques sont-ils évacués ? Je n?étais pas à la Golden League début octobre, j?ai entendu que ça ne s?était pas très bien passé. Nous faisons partie des favorites, mais pour moi il y a des équipes plus favorites que nous. Je serais très heureuse de finir ma carrière internationale sur un podium.
Les JO, et en particulier cette dernière balle traînant au sol que vous disputez à Bojana Popovic et qui décide finalement du sort du quart de finale, vous hantent-ils encore ?
Non. Clairement, je n?y pense plus. J?ai toujours eu l?habitude de ne pas regarder derrière, mais devant, tout simplement parce que c?est inutile. Ca ne servirait à rien d?y repenser, alors autant se concentrer sur le présent et l?avenir ! Les JO sont terminés. Je n?aurai pas de médaille olympique, c?est comme ça. J?aurais aimé tout avoir, mais je ne vais pas me plaindre, j?en ai déjà eu pas mal. Et puis j?ai encore deux beaux objectifs devant moi, avec cet Euro où on n?a jamais accroché de finale, et la Ligue des Champions. Ces deux échéances m?ont sûrement aidée à évacuer les Jeux. Si j?avais mis fin à ma carrière au mois d?août, ça aurait sans doute mis plus de temps. Une carrière, c?est comme un roman : on tourne une page et quelque chose de nouveau survient. J?ai encore de belles pages à écrire, c?est bien de ne pas avoir signé la fin du livre à Londres.
«CA ME FAIT BIZARRE D’ETRE DANS UN CLUB QUI A DE LA MARGE »
Vous avez déjà le plus gros palmarès du handball féminin en équipe de France (un titre et deux médailles d?argent aux Mondiaux, deux de bronze aux championnats d?Europe, quatre participations aux Jeux). Etes-vous motivée par les records ?
Pas du tout ! Ca ne m?intéresse absolument pas. Je ne joue pas pour les records, mais pour gagner des médailles et des titres. C?est sans doute bien de se retourner pour voir ce qu?on a gagné, mais c?est un moment que je réserve pour la fin de ma carrière. L?heure du bilan viendra quand j?arrêterai de jouer. Je sais déjà que je pourrai être fière de ce que j?ai vécu, mais pour le moment je n?y pense jamais.
Après Larvik (Norvège) et Itxako (Espagne), vous voici dans un troisième grand d?Europe, Györ (Hongrie). En quoi cette expérience diffère-t-elle des deux précédentes ?
Ce qui change le plus, c?est cette sorte de force énorme qui se dégage de l?équipe. A Larvik ou à Itxako, il y avait toujours une incertitude avant un match de Ligue des Champions. On savait que ce serait accroché, on ne savait pas ce qui pouvait se passer. Mais là, avec Györ, on a l?impression de savoir qu?on va gagner à chaque fois qu?on joue. Dans le championnat national, on se balade, mais c?était attendu et c?était pareil en Norvège ou en Espagne. Par contre en Ligue des champions, c?est la première fois que je vis ça. Ca me fait bizarre d?être dans un club qui a de la marge. Et pourtant on n?est pas encore au point ! Il y a eu pas mal de changements à l?intersaison, l?arrivée d?un nouvel entraîneur avec une vision du jeu bien plus portée sur la défense qu?avant. Mais j?ai vraiment l?impression que tout le monde est super serein. Comme si le fait d?avoir été six fois de suite dans le dernier carré de la Ligue des Champions nous garantissait d?y être une septième fois sans forcer ! Je ne raisonne pas du tout ainsi, pour moi cela ne garantit rien. Il n?y a aucune surestimation de nos adversaires dans ce que je dis là, c?est juste une sensation, difficilement explicable, qui se dégage du collectif.
Qu?est-ce qui vous a le plus marqué dans le handball hongrois ?
Le public ! Par rapport aux pays dans lesquels j?ai joué, c?est le plus hallucinant. Non seulement notre public est très nombreux et hyper bruyant, mais il est en plus connaisseur. Les supporters font vraiment partie de l?équipe, ils sont là tout le temps, pas seulement en coupe d?Europe. Il y a une grosse ambiance à domicile comme à l?extérieur, même sur des matches où nous sommes assurées de gagner de quinze buts. Et puis nos fans nous encouragent, mais n?insultent pas les adversaires, contrairement à ceux de Ferencvaros (le grand club rival, à Budapest). C?est vraiment un bon esprit, j?aime beaucoup. Tout ce rituel entre les joueuses et le public est nouveau pour moi. Avant chaque coup d?envoi en Ligue des Champions, le kop chante l?hymne hongrois et toute la salle écoute en le regardant, les arbitres aussi. A la fin de chaque match à domicile, on fait le tour du terrain en file indienne pour taper dans la main des spectateurs, et on danse quelques minutes en face du kop, dans un échange. La semaine dernière, en championnat, on accueillait justement Ferencvaros, qui marche très fort en ce moment. C?est le club ennemi, qui pouvait nous battre. La rivalité est telle que le chef de nos supporters a demandé à notre entraîneur de faire jouer les sept meilleures joueuses pendant soixante minutes, sans faire aucun changement, pour gagner avec le plus gros écart possible ! Ca montre à quel point ils sont à fond? On a gagné de neuf buts, en faisant des changements bien sûr, dans une ambiance très chaude !
« C’ETAIT MON OBJECTIF EN ARRIVANT ICI : M’IMPOSER EN DEFENSE »
Est-ce la meilleure équipe dans laquelle vous avez évolué ?
C?est difficile à dire, car je n?ai trouvé nulle part ailleurs cette sensation de sérénité? Malgré tout, je pense que l?équipe d?Itxako d?il y a deux ans était meilleure sur le papier, car on avait deux sept de qualité équivalente, alors qu?ici il y a moins de qualité de banc. Mais si on ne regarde que le premier sept, le sept majeur, alors oui, c?est clairement la meilleure équipe dans laquelle j?ai jamais joué, équipe de France incluse. Il y a une superstar à chaque poste : Katrine Lunde-Haraldsen dans les buts, Heidi Løke en pivot, Anita Görbicz, Andrea Lekic et Eduarda Amorim sur la base arrière, et Jovanka Radicevic à l?aile droite.
Qu?est-ce que vous apportez dans cette équipe de stars ?
Mes qualités défensives. On veut arriver à faire quelque chose de bien en défense avec ces joueuses qui sont plutôt des stars en attaque. Pour moi, le plus important c?est la défense, pas l?attaque. C?est aussi le point de vue de notre entraîneur, Ambros Martin. C?était mon entraîneur à Itxako ces deux dernières saisons, j?ai la chance de savoir exactement ce qu?il attend et qu?il me connaisse bien aussi. Il aime varier les systèmes défensifs (0-6 ou 1-5) en fonction des adversaires, j?aime beaucoup cela. Dans les deux systèmes, je me suis fait ma place, en charnière centrale avec Amorim sur la 0-6, et en position avancée sur la défense 1-5. C?était mon objectif en arrivant ici. Je voulais m?imposer en défense, ça ne me faisait rien de ne pas beaucoup jouer en attaque. Mais du coup, je joue aussi en attaque, à l?aile gauche, je ne pensais pas jouer autant ! C?est un retour aux sources pour moi, ça fait presque six années que je n?avais pas joué à ce poste, j?ai besoin de retrouver des repères.
Györ est sans doute le plus grand club d?Europe par sa régularité, avec onze années consécutives de présence en demi-finales européennes (les six dernières en Ligue des Champions). Mais, c?est assez incroyable, il n?a jamais remporté le moindre trophée continental. Avez-vous signé dans un club maudit ?
J?espère que non ! J?espère qu?il ne s?agit que de malchance jusqu?à présent? Le club a un peu la même histoire que moi, dans le sens où ils courent après la Ligue des Champions depuis des années et moi aussi. J?espère que cette année sera la bonne pour tout le monde. Je compte sur ma bonne étoile !
Vous n?êtes plus la seule Française à évoluer à l?étranger cette saison, puisque six de vos coéquipières sont parties dans des grands clubs européens. Vous avez hâte de les retrouver en Ligue des Champions ?
Oui, je crois n?avoir jamais joué contre une Française en Ligue des Champions, ce sera pour le mois de février j?imagine, ce seront des moments sympas ! C?est d?abord une très bonne chose pour les filles, et puis aussi pour le handball français. Elles sont toutes dans des gros clubs et éparpillées un peu partout, dans des cultures handball très différentes (Scandinavie, Russie, ex-Yougoslavie et Europe de l?est). C?est vraiment très intéressant, d?autant plus que ce sont des destinations nouvelles. J?ai hâte de revenir en équipe de France pour discuter avec elles de leur quotidien, de leur vie là-bas, de comment elles s?entraînent, etc.
« J’AI AIME LES EMOTIONS QU’ON A PU PARTAGER PENDANT LES JEUX DE LONDRES »
Que ferez-vous à la fin de la saison ?
Je ne sais pas encore. J?aurai un choix de vie à faire. Je pense que j?arrêterai le très haut niveau (équipe de France et Ligue des Champions). Après, soit j?arrête complètement, soit je continue dans un club qui ne joue pas en Ligue des Champions. Je voudrais rester dans le milieu du hand et commencer à entraîner, donc ça dépendra aussi des opportunités qui se présenteront.
Vous êtes considérée depuis longtemps comme la bible du handball féminin. En seize ans de carrière, dont quatorze en équipe de France, quelles sont les joueuses qui vous ont le plus marquée ?
Quand j?étais gamine, c?était Sandrine Mariot. J?étais fan de son jeu, en admiration devant elle. Quand je suis arrivée à Besançon, j?étais toute contente de m?entraîner avec elle. J?adorais les discussions de handball qu?on tenait pendant des heures avec elle, Véronique Pecqueux et d?autres. Ensuite, Svetlana Antic m?a beaucoup appris sur la défense quand elle est venue à Besançon. Je défendais à côté d?elle, elle me donnait plein de conseils que je transmettrais volontiers à mes coéquipières aujourd?hui. Sur les joueuses que j?ai croisées comme adversaires, je mentionnerais l?ex demi-centre coréenne Seong-Ok Oh, pour sa technique, sa vision du jeu et sa capacité à tout faire, y compris des kung-fus et des passes de folie. Et puis Montse Puche, l?ancienne demi-centre espagnole, capable de marquer dans n?importe quelle situation, même à l?aile droite avec vingt centimètres d?angle. Mais j?aurais des tonnes d?autres joueuses à citer, la liste est interminable !
Vous avez disputé quinze grands championnats internationaux, un record pour une Française (quatre JO, six Mondiaux et cinq Euros). Parmi vos souvenirs, quel est votre Top 3 ?
(Elle réfléchit) En numéro 1, je dirais le Mondial 2003, forcément. Il reste comme la consécration, avec l?ancienne génération. C?est le premier et le seul titre, avec un scénario de folie en finale, le truc miraculeux qui n?arrive pas deux fois dans une vie? J?ai déjà vu des retournements de situation, mais jamais de cette ampleur, en si peu de temps. C?était complètement fou, et c?était en finale d?un Mondial ! En deuxième position, je citerais les JO 2000. C?était ma première compétition avec l?équipe de France, j?étais toute jeune, et c?était des Jeux Olympiques ! La découverte du village, la cérémonie d?ouverture, en Australie à l?autre bout du monde, restent des moments très forts. En numéro 3, je dirais les JO de cet été à Londres. J?ai adoré l?ambiance entre toutes les filles, la première semaine de rêve qu?on a faite. J?ai aimé comment on a préparé les matches individuellement et collectivement, comment tout le monde a beaucoup travaillé. J?ai aimé les émotions qu?on a pu partager pendant cette quinzaine. Il y a eu des supers moments, et même la défaite en quart de finale est une émotion incroyable. Très douloureuse, bien sûr, mais tout de même incroyable à vivre.
Vous qui aimez les pronostics, pouvez-vous nous dire, pour conclure, qui remportera l?Euro et la Ligue des Champions cette année ?
(Elle rit) Pour l?Euro, si ce n?est pas la France, ce sera l?Espagne. C?est mon favori, car elles ont leur équipe des Jeux olympiques, renforcée par la naturalisation de Barbosa et le retour de Pena. Pour la Ligue des Champions, je vois une finale entre Valcea et Györ, avec une victoire de Györ ! »