Hier, il s’est régalé à la Lanxess Arena, où Hambourg, la maison qui abritera le fiston la saison prochaine, est devenu champion d’Europe, avant de partager un moment avec ses complices, Philippe Gardent et Thierry Perreux dans les rues de Cologne. Demain, il bouclera ses cartons. Fini l’Allemagne, quatorze années merveilleuses, bonjour Chartres où il va poser ses valises. A bientôt cinquante ans, Pascal Mahé s’attaque à un nouveau challenge. Passionné par les relations humaines, féru de formation, thérapeute manuel reconnu, le papa de Kentin démarre comme une seconde vie. Qu’il espère aussi riche que la précédente.

-« Décrivez-nous l’émotion qui vous a envahi au moment où vous avez vu votre fils, Kentin, avec le maillot bleu sur les épaules?
C’était évidemment une grande fierté. Je n’ai pas pu être sur place, mon épouse, elle, était à Nantes pour cette première forcément particulière. J’ai suivi le match contre la Tunisie devant ma télé. Je m’en suis d’ailleurs approché très près quant il a pris une tartine par un joueur tunisien. Il n’aurait pas fallu que je le rencontre celui-là (rires?). Au-delà de la fierté, il y a inévitablement quelques questions : Est-ce que ça n’arrive pas un peu tôt ? Kentin n’est pas fini physiquement, il n’est pas prêt à encaisser la charge, les contacts. Depuis, heureusement, il a pris quelques kilos, de l’expérience. Et aujourd’hui, il est sur la bonne voie.

Kentin en équipe de France, est-ce une évidence depuis toujours ?
Oui. Tout petit, il a formulé le souhait de suivre le même chemin que moi. Il s’est donné les moyens, il a bossé pour ça, pour être sélectionnable. Mais cette envie l’a, effectivement, animé très tôt. Sans doute qu’il ne pouvait en être autrement par rapport à sa façon de penser, de procéder. Il croit très fort en lui. Moi, je n’étais là que pour partager, faire passer des infos. Très tôt, il a voulu vivre ça au travers de ses propres émotions, ressentir par lui-même ce que j’avais pu éprouver au long de ma carrière. Dans son cheminement, il y a des similitudes, du caractère, de la volonté, le besoin de partager. Etre le fils de? a probablement compté. Encore que? Le message est-il le bon ? Parent, entraîneur, fils de?, ça fait beaucoup de choses à digérer. Bien que, jusqu’à aujourd’hui en tout cas, on ne s’est pas trompé de chemin.

Quels souvenirs conservez-vous comme les plus précieux de votre carrière en équipe de France ?
Tout de suite, comme ça, je vais dire Barcelone. Evidemment Barcelone. Avoir pu participer à cette aventure avec un handball qui partait de très loin pour atteindre enfin une forme de reconnaissance, c’était magique. On a construit les bases, même si je demeure très respectueux de l’?uvre des anciens. Quand je suis arrivé en équipe de France, il y avait les Cailleaux, Geoffroy, Maurel, Casagrande, Nouet, Serinet qui avaient bien défriché le terrain. Nous, avec Gardent, un peu plus tard Perreux, on était les petits, mais si on savait où on mettait les pieds, on ne savait pas comment cela allait évoluer. Barcelone, c’est une aventure tant sportive, qu’humaine. Elle nous a révélés au grand public, et la concrétisation, trois ans plus tard en Islande, a fini de lancer l’épopée. Je garde aussi un autre souvenir, douloureux celui-là, les JO d’Atlanta en 1996.

« J’ETAIS UN BARJOT DANS LA TETE. JE ME MARRAIS DE VOIR LES AUTRES FAIRES DES ‘CONNERIES' »

Etiez-vous un Barjot ?
Un Barjot dans ma tête, oui, parce que je me marrais de voir les autres faire des « conneries ». Mais je n’étais pas très actif. J’adhérais à cette philosophie sans, comme certains, dépasser la limite, simplement parce que je n’en avais pas les moyens. Je ne renie rien, je referais les mêmes choses avec les mêmes camarades si j’en avais l’opportunité. J’assume cette époque, les bonnes, comme les mauvaises choses.

Kentin est-il très éloigné de ce que vous étiez à l’époque ?
Il est un peu fou-fou, il a même fallu le recadrer quelque peu à l’école. Il a sans doute pris tout le côté que j’aurais aimé arborer à l’époque, style Greg Anquetil, joueur de guitare, capable de montrer ses fesses, mais surtout excellent sur le terrain. Il s’est assagi, il a compris certaines choses. Il a surtout compris que s’il voulait vraiment atteindre un objectif, il devait se protéger un petit peu.

Après quatorze années en Allemagne, qu’est-ce qui vous a donné envie de rentrer en France ?
C’est un concours de circonstances. J’ai vécu de très belles choses en Allemagne, des choses très enrichissantes. Dans l’échange. L’échange sportif, culturel. Je conseille d’ailleurs à tous les petits français de tenter ce type d’expérience, ne serait-ce que pour avoir un peu plus de recul sur les choses et pas forcément penser que la seule voie est Franco-Française? S’ouvrir sur le monde, ouvrir son c?ur pour apprécier les choses différemment, c’est inestimable. Pourquoi la France ? Clara, ma fille de dix-huit ans qui fait de l’heptathlon et du 100 m haies et qui va d’ailleurs participer au Championnat d’Allemagne, va s’installer à Montpellier afin d’y suivre un cursus STAPS, comme mon fils Victor qui a débuté il y a un an, et qui pratique d’ailleurs le hand plaisir au club. Chartres, ce n’est pas moi qui ai fait les démarches. J’ai été contacté, ça tombait super bien. Le club a des ambitions, un vrai challenge à relever. Je me remets en danger en revenant sur mes terres, mais j’ai à c?ur de m’investir à 100%. En espérant que mon discours soit séduisant.

« ON DOIT JOUER LE JEU EN METTANT DES GARDE-FOUS »

Etes-vous resté en contact avec le handball français durant toutes ces années ?
J’étais surtout très orienté sur ce que j’avais à faire ici. Mais au travers de ce que je voyais à la télé, sur Internet, j’étais au courant sans être vraiment en contact direct avec les acteurs.

Comment jugez-vous l’évolution du handball français ? Notamment les vicissitudes de votre ancien club, Montpellier, l’avènement du PSG handball?
L’affaire des paris, ce sont des infos douloureuses. Qui a tord ? Qui a raison ? Qui a fait des bêtises ? Qui n’a pas fait de bêtises ? Je ne vais pas rentrer dans les détails. Bien sûr, ça a desservi l’image du handball. Mais il y a tellement de choses positives à côté, des valeurs saines savamment entretenues, que ça ne peut pas tout faire capoter. Si certains se sont fait prendre la main dans le pot de confiture, ils doivent payer. Mais on ne va pas les renier pour autant.
Paris, c’est différent. Le handball français a évidemment besoin de moyens financiers pour sortir de l’ornière. Il est maître dans l’art de la formation, tout le monde nous envie nos structures, mais il manque ces moyens pour franchir un cap. On sait qu’avec les gens du Qatar, les moyens sont illimités, mais on doit jouer le jeu en mettant des garde-fous. On a tellement entendu des choses négatives à propos des expériences de certains joueurs au Qatar? Mais à partir du moment où c’est bien contrôlé, avec nos règles de fonctionnement, je prends.

Vous étiez à Cologne, ce week-end, afin de suivre le final four. Peut-on imaginer un tel événement en France à court terme ?
Oui, si on met les moyens. Les Allemands savent faire, ils ne laissent rien au hasard. C’est un vrai spectacle que les gens évoqueront pendant longtemps en famille. Le souci, c’est l’infrastructure. Bercy est trop petit. Des projets de grandes salles sont tombés à l’eau me semble-t-il. C’est dommage pour l’évolution de notre sport. Sinon, Cologne, c’était une très très belle réussite.

Racontez-nous votre parcours, de Dormagen à Ratingen?
Je suis arrivé en Allemagne en 1999, j’y ai joué jusqu’en 2003, jusqu’à quarante ans donc. J’ai évolué en 1ère, 2e et même 3e division. Mais si j’y suis allé, c’est d’abord parce qu’il y avait un projet de centre de formation. Ça a été une de mes plus grosses actions entre 2005 et 2007. En 2008, le bâtiment est sorti de terre, dans un lycée de Dormagen. Depuis, ça fonctionne super bien. Il y a une dizaine de handballeurs de 14 à 18 ans, une sorte de Pôle Espoir. Il faut savoir que si en France il y a un Pôle dans chaque région, en Allemagne, il n’y en a qu’une petite douzaine à l’initiative de la région ou des clubs. Ce n’est en aucun cas une volonté fédérale. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils sont très envieux de ce que l’on fait en France. Sinon, je me suis également occupé de l’équipe junior allemande, et je tiens d’ailleurs à remercier la Fédération de m’avoir ouvert ses portes. J’ai aussi entraîné des équipes à différents niveaux, tenu un rôle d’adjoint, et j’ai même fait de la formation de cadres pour des Fédérations, notamment en Allemagne et au Danemark. Mon dernier challenge a été de faire monter Ratingen en Oberliga, l’équivalent de la N1 française.

L’une des clés de la réussite de l’équipe de France est sa capacité à renouveler son élite. Vous qui avez eu la charge de la formation des jeunes allemands, pouvez-vous nous dire si les méthodes des deux écoles sont, quelque part, similaires ?
Justement, non. Ça a d’ailleurs été la première demande de la Fédération allemande : aide-nous à travailler sur nos jeunes afin de les faire progresser individuellement. L’Allemagne est forcément très bien organisée, la dynamique de groupe est permanente, mais, techniquement, le bas blesse … Il faut savoir que depuis 1979, avec le système des sections sports-études et ensuite des Pôles, le handball masculin français n’a fait qu’une médaille internationale chez les juniors quand l’Allemagne est championne d’Europe ou du monde presque à tous les coups. En fait, il faut un mélange des deux.

Est-ce parce que vous avez si souvent été blessé durant votre carrière que vous vous êtes tourné vers ce métier de thérapeute manuel ?
Oui, certainement. C’était un chemin que je devais faire pour continuer à marcher droit. J’ai d’ailleurs refait quelques matches alors que j’ai 50 ans maintenant, et je n’ai pas été ridicule? Mais j’ai aussi eu l’occasion, dans le passé, de côtoyer des mecs sympathiques et compétents, et ça m’a donné envie de tenter l’aventure. C’est quelque chose de super enrichissant. Je ne pensais pas que ce serait possible dans ce monde-là de pouvoir aider les gens à aller mieux.

« AVEC CHARTRES, J’AI L’INTENTION DE JOUER LA MONTEE DES LA PROCHAINE SAISON »

Qu’allez-vous faire de vos cabinets de Düsseldorf et Ratingen ?
Ces aventures vont continuer sans moi. J’ai d’autres impératifs en venant à Chartres. Peut-être un jour?

Comment envisagez-vous ce retour en France ? Quelles sont les ambitions de Chartres, dont le projet apparaît bien séduisant ?
Je l’envisage avec une grosse envie. Je vais prendre ce poste à partir de la fin du mois de juillet avec l’intention de monter en première division dès la saison prochaine. Mais le projet est effectivement captivant. Il y a cette volonté actée de construire une salle fin 2015 afin de l’occuper à partir de 2016. La volonté, aussi, de créer un centre de formation. Et si l’on peut parvenir à intégrer les jeunes du Pôle Espoir, alors on sera armé pour l’avenir.

Pour finir, à côté de quoi ne souhaiteriez-vous pas que Kentin passe ? Qu’est-ce qui vous a le plus ému au long de votre carrière ?
Vraiment, je m’en voudrais qu’il puisse, un jour n’être pas en accord avec lui-même. Il connaît l’histoire : je bosse, je fais les efforts, je fais attention à ma santé, je prends du plaisir, mais, surtout, je ne me raconte pas d’histoires. Ce n’est pas parce qu’il a du talent, qu’il est un peu meilleur que les autres, qu’il doit se reposer, baisser la garde. C’est une base sur laquelle il faut investir. Je peux l’aider à atteindre ses objectifs, mais il ne doit pas se tromper. C’est la chose la plus forte, la plus importante à mes yeux. Au risque d’aller de désillusions en désillusions. S’il n’y a pas de perpétuelle remise en cause, le succès risque d’être limité dans le temps.