Il se préoccupe aussi de «ses» joueurs, ceux qu?il côtoyait encore sur le 40×20 en janvier dernier et qu?il dirige désormais. Le Guadeloupéen est, en effet, membre de la Direction Technique Nationale, chargé des stratégies défensives à tous les niveaux de la formation française. Un nouvel habit dans lequel il s?est glissé sans bruit, sans heurt, le plus naturellement du monde. Après quelques mois de pratique, il nous raconte sa nouvelle vie, nous fait pénétrer dans son nouveau monde?
-« Que faisiez-vous le 6 juin dernier ?
Ça remonte à loin… C?était le dernier match officiel de ma carrière, face à Tremblay-en-France. Il y a eu le bouclier, tout un tas de célébrations, c?est ce que je retiens avant tout. Comme le fait d?avoir été à l?origine du projet qatarien. Pour le reste, je ne saurais dire quels étaient les sentiments qui m?habitaient alors. Je m?étais préparé à cette fin et je n?ai donc pas été surpris.
Et votre dernier match en Bleu, face à la Croatie, vous vous en souvenez également ? C?est drôle, mais vous aviez également débuté votre carrière internationale face à la Croatie, en décembre 1996, à même pas vingt ans?
Après le match, j?ai vite fait ce retour-là. J?avais été vraiment déçu la première fois. Je me pensais fort, comme invincible. Et un vieux Croate dont j?ai oublié le nom m?avait mis une de ces revues ! Sinon, pour le match de janvier, c?était un moment particulier. On était revenu, après les Jeux, pour assurer une forme de transition. On a perdu, mais on a perdu en acceptant de se mettre en danger. Tout s?arrête un jour, les bonnes choses ont toujours une fin?
« TOUT S’EST PASSE TRES VITE »
Il n?est pas juste de dire que vous avez raccroché face à Tremblay-en-France. Il y a eu ce jubilé, chez vous, entouré de votre famille et de vos amis, la meilleure façon, sans doute, de se retirer?
La meilleure façon, oui. J?aime que les boucles soient bouclées. J?ai commencé ma carrière internationale face à la Croatie, je l?ai également achevée face à la Croatie. J?ai débuté le handball en Guadeloupe, c?est aussi chez moi que je l?ai vraiment terminé… Tout ça a un sens pour moi. Pour ce qui est des proches et des amis, j?ai un seul regret, celui d?avoir été contraint de procéder à une sélection. On a partagé un bon moment, mais c?est vraiment dommage de n?avoir pu emmener tout le monde. Sans doute, d?ailleurs, ai-je froissé des gens, ce n?était pas mon intention.
Vous êtes donc, aujourd?hui, membre du staff de l?équipe de France. Pouvez-vous nous préciser les contours de votre rôle ?
C?est très simple en fait. La Fédération m?a juste demandé de reproduire en sélection ce que je faisais déjà plus ou moins lorsque j?étais joueur : diriger la défense, l?affiner en fonction des situations de jeu, de la nature de l?adversité. Je suis également chargé de mettre en place une ligne directrice dans toutes les catégories afin que le jeune joueur, après six ans de formation, partage un langage commun avec ses aînés lorsqu?il intègre l?élite.
Racontez-nous le premier rassemblement, en juin dernier à Vilnius?
Tout s?est passé très vite en fait. La Fédération m?a proposé ce poste alors que j?étais sensé exercer à Paris la fonction d?entraîneur adjoint. Je n?ai pas mis trop de temps à me positionner. Le premier rassemblement, s?est passé tout à fait naturellement. J?ai la chance d?être crédible, et je dis cela sans prétention. Les joueurs me connaissent, ils ont tous évolué à mes côtés et ils savent à quel point j?ai investi sur le domaine défensif. Certains m?ont demandé ma vision de la défense, d?autres juste quelques conseils. Il n?y a pas eu de temps d?observation en fait, chacun savait exactement quel était son rôle.
Quel a été votre démarche pour intégrer cette nouvelle fonction. On vous a vu aller à la rencontre de nombreuses personnes. Toujours cette même soif d?apprendre ?
Le joueur possède un égo surdimensionné et ne se préoccupe pas, durant sa carrière, de la maison fédérale, juste de lui, de son quotidien de sportif de haut niveau. Lorsque je suis arrivé à la DTN, j?ai voulu passer de ce mode JE au mode NOUS. Je me suis ouvert aux autres, j?ai cherché à échanger avec un maximum de personnes. On a d?abord ciblé des pôles prioritaires, c?est comme ça que j?ai été amené à partager avec Yohann Delattre à Dunkerque, Pascal Person à Eaubonne ou Eric Quintin à Istres. Je serai à Boulouris du 18 au 22, avec toujours ce même souci de voir comment l?on peut fonctionner tous ensemble, en bonne intelligence.
Ça fait quoi, alors, d?être de l?autre côté du miroir ? De ne plus partager votre temps avec vos anciens coéquipiers, mais avec ceux qui vous dirigeaient il y a peu encore ? A table, au café, pendant les séances vidéo et évidemment sur le banc ?
Sincèrement, au début, c?était rigolo, je me faisais chambrer. Aujourd?hui, la collaboration est devenue naturelle. Les échanges sont constructifs, intéressants. Avec Bertrand (Gille), par exemple, on échange beaucoup. Chacun est à sa place et ça facilite les missions des uns et des autres.
« CHACUN SA ROUTE, CHACUN SON CHEMIN »
N?êtes-vous pas tenté, parfois, de rejoindre un joueur dans sa chambre pour «taper» une partie de cartes ?
Non. Il y a quand même du boulot !!! Je m?implique beaucoup, avec Vincent (Griveau), afin de proposer le meilleur retour possible sur les matches, et on finit souvent très tard. Et puis, je le répète, chacun doit rester à sa place. Je vais vous raconter une anecdote. Après les deux matches de qualification de juin, les joueurs sont sortis fêter la victoire. Les membres du staff m?ont proposé de les accompagner. Mais non, ce n?est plus ma fonction de sortir avec les joueurs. Il faut rompre avec certaines habitudes si l?on veut demeurer crédible.
Et puis, maintenant que Daouda Karaboué a lui aussi tiré sa révérence, vous n?avez plus votre complice préféré à vos côtés?
Daouda est passé, lui aussi, dans une autre vie. Il était cette semaine avec l’équipe de France jeune sur le tournoi Pierre Tiby avec Eric Quintin. On ne se perd jamais vraiment de vue. Mais comme le chantait Tonton David, « Chacun sa route, chacun son chemin »?
D?une façon plus générale, comment qualifieriez-vous votre relation avec les joueurs ?
Je la qualifierais de normale. Ils sont demandeurs. Ils viennent me poser des questions par rapport à leurs attitudes, leurs positionnements en défense. Mon rôle est de leur donner les armes afin qu?ils se sentent au mieux dans le collectif.
« ACCOMPAGNER LES EQUIPES JEUNES EST TRES INSTRUCTIF »
Etes-vous capable de les engueuler s?ils n?appliquent pas les systèmes tels que vous les avez imaginés ?
Oui, ça ne me pose pas de problème de conscience. Je le fais plus directement à l?entraînement. En match, la voix, c?est celle de Claude.
Vous êtes également intervenu, à plusieurs reprises, auprès des jeunes et des juniors. Quel est votre rôle, votre message ?
On ne passe pas une année entière avec les A ! Accompagner les équipes de jeunes est très instructif. J?ai passé huit jours avec Philippe Schlatter, l?été dernier, à Saint-Jean-de-Maurienne, et j?ai aimé l?expérience. Je la renouvellerai dès que possible, et puis il y a les Championnats d?Europe, l?été prochain, où je devrais me rendre…
On dit qu?arrêter la pratique est comme une petite mort. Or, vous semblez bien vivant?
Je ne suis pas mort du tout ! Je suis allé au bout de ce que j?avais à faire en temps que joueur. Cette petite mort, je l?avais anticipée deux ans auparavant…
Au-delà de vos activités handballistiques, vous reste-t-il un peu de temps libre ?
Il en reste si l?on sait organiser son travail. Sinon, tu penses être partout et tu n?es finalement nulle part. Ce temps libre me permet de me centrer sur ma famille, ce qui n?était pas possible pendant ma carrière de joueur. Je goûte à nouveau à des choses simples, comme tout le monde, et c?est bien agréable.
« BEAUCOUP DE PERSONNES M’ONT AIDE »
Où trouve-t-on la meilleure huile d?olive du monde ?
En Espagne. A Ciudad Real !!! Quand on parle de temps libre, voilà, on est en plein dedans. J?ai des oliviers, je fais ma récolte et j?amène les olives au moulin. Et l?huile est vraiment délicieuse?
Il paraît aussi que vous venez de lancer une marque de vêtements sportifs. Pouvez-vous nous dire ce dont il s?agit ?
Je vais la lancer. C?est une marque sportive avec des équipements, des ballons et même une ligne de boxers?
Maintenant que vous êtes un jeune retraité, si l?on vous proposait un dîner aux côtés de gens qui ont accompagné votre parcours, lesquels convieriez-vous ? Eddy Couriol ? Thierry Orfèvres ? Alain Quintallet ? Patrice Canayer ? Daniel Costantini ? Talant Dujshebaev ? Claude Onesta ?
Elle est étrange cette question. Les gens que vous citez ont tous participé, d?une manière ou d?une autre, à ce que je suis devenu aujourd?hui. A leur manière, ils ont misé sur moi. Eddy et Thierry m?ont lancé en Guadeloupe. Alain, c?est Alain. Patrice m?a donné ma chance en première division, Daniel en équipe de France. Talant m?a aidé à me construire techniquement. Et Claude a accompagné mes meilleures années. En fait, il y a beaucoup de personnes que j?ai croisées et qui m?ont aidé à devenir ce que je suis?
Un mot, pour finir, sur la science de la défense. Pourquoi ce domaine vous subjugue-t-il à ce point ? Quelle est votre philosophie de la défense ?
Pourquoi ça me subjugue ? Mais parce que, depuis la nuit des temps, les triomphes français ont toujours été le fruit de la défense. Depuis les Barjots, on sait que si l?on met une densité telle que l?adversaire recule, que son jeu commence à se déliter, qu?il perd le fil, alors la victoire n?est plus très loin. On sait aussi que ce scénario procure vraiment du plaisir. Je ne vais pas vous la raconter à l?envers, cette passion m?est quand même venue par défaut. Moi aussi j?aurais aimé être Lathoud ou Volle. Mais je n?étais pas bon, trop stéréotypé. Je l?ai vite compris, et j?ai cherché une autre voie. Parce que je m?étais réellement fait un devoir de parvenir au plus haut niveau. On peut briller sans mettre dix buts. Etre défenseur n?est pas une tare.»