On se souvient de lui en finale du championnat du Monde, en 2001. Bercy était en fusion, la grande Suède se dressait sur le chemin d’un deuxième sacre. Blessé en fin de partie, Patrick Cazal était revenu, fier et brave, aussi déterminé qu’au temps du Chaudron, ce quartier difficile de son île, où il fallait jouer des coudes pour se tracer un destin. On se souviendra aussi de lui comme du premier entraîneur réunionnais champion de France, tous sports confondus. Mais résumer son histoire à ces deux faits d’armes serait forcément réducteur tant le Monsieur est immensément attachant…

De quand datent vos premiers souvenirs du titre de champion de France ?

Si je me souviens bien, les tout premiers concernent le club de Gagny. Je revois ces photos avec des maillots jaune et vert… Il faut savoir que l’on recevait à la Réunion le magazine fédéral. Il n’y en avait qu’un, on ne pouvait le feuilleter que dans les bureaux, jamais l’emporter à la maison. Et Gagny me semblait alors disposer de la grosse équipe.


Savez-vous quel est le premier joueur réunionnais à avoir décroché ce titre ? Jackson Richardson en 1994 ?

Le premier ? Je ne sais pas, mais c’est sans doute Jackson, oui.


Mais vous êtes, vous, le premier en tant qu’entraîneur…

Les journalistes réunionnais qui m’ont sollicité depuis le titre m’ont dit ça. D’après eux, je suis également le premier entraîneur champion de France tous sports confondus…

Vous étiez, avec Maxime Spincer et Jackson Richardson, les premiers pionniers de la Réunion à évoluer en Métropole. Longtemps, les joueurs de votre île ont fait le bonheur de la D1. Ils semblent moins nombreux aujourd’hui…

Le vrai pionnier, c’est Bud (Spincer). Il lui a fallu du courage, de la volonté pour quitter l’île et nous ouvrir la voie. Il a ainsi facilité la venue de tous les autres. Jack (Richardson), c’est encore différent. Le niveau qu’il a atteint a interpellé les Réunionnais qui ont alors compris que même en venant de notre petite île, on pouvait réaliser de grandes choses… Ces deux parcours font qu’aujourd’hui, les Réunionnais sont mieux intégrés. Pour la seconde partie de votre question, je constate surtout que les Réunionnais viennent en Métropole de plus en plus tôt. Lorsqu’ils arrivent, ils ne rencontrent pas les difficultés qui étaient notre quotidien à l’époque. Ils intègrent un centre de formation, vivent en groupe au quotidien, et connaissent ainsi un cursus de formation conventionnel. Or, le joueur réunionnais est intéressant aussi parce qu’il est atypique. S’il rentre dans un moule, il conserve ses qualités physiques, mais ne dénote pas des autres gars formés en même temps que lui. Je dis ça sans avoir réalisé une analyse poussée et précise, c’est juste un sentiment, mais je crois, oui, que les gamins de chez nous partent parfois trop tôt. Ceux qui quittaient l’île à notre époque étaient déjà parmi les meilleurs joueurs de la Réunion. Ils étaient prêts à évoluer dans un milieu semi-professionnel alors que le milieu d’aujourd’hui est totalement professionnel et donc plus difficile à intégrer.


« APRÈS MA CARRIÈRE DE JOUEUR, JE NE VOULAIS SURTOUT PAS DEVENIR ENTRAINEUR »


Quand avez-vous su que vous vouliez devenir entraîneur ?

Lorsque j’ai mis un terme à ma carrière, je ne savais absolument pas ce que j’allais devenir, je savais juste que je ne voulais surtout pas devenir entraîneur. Comme quoi, il ne faut jamais dire : « Fontaine, je ne boirai pas de ton eau… ». On m’a d’abord sollicité pour donner un coup de main aux -17 ans. Je me suis impliqué pendant deux saisons et l’expérience a plutôt été réussie puisqu’on est parti du plus petit niveau pour atteindre aujourd’hui le championnat national des -18 ans. La formation est quelque chose de très compliquée, mais j’ai passé des bons moments avec des gamins parfois rebelles que j’ai quelque part accompagnés à gagner en maturité. Mais je ne me voyais pas continuer dans ce monde-là. Après, il y a eu cet épisode où Arnaud (Calbry), alors adjoint de Yérime (Sylla), a décidé de prendre du recul. On m’a proposé de le remplacer. Je me suis dit : pourquoi pas… Et franchement, j’ai tout de suite aimé ce rôle où tu places tes pions, où tu joues aux échecs, où tu retrouves cette adrénaline avant les matches qui devait sans doute me manquer même si je ne m’en rendais pas trop compte…

Alors, vous vous êtes engagé dans le cursus de formation ?

Oui, et je voudrai insister sur l’importance de la formation. Je n’ai toujours pas décroché mon DES, j’espère que je l’aurai au démarrage de la prochaine saison, mais j’ai rencontré tout au long de ce cursus des gens qui m’ont permis d’apprendre beaucoup de choses, d’entrer dans cette logique qui n’était jusque-là pas la mienne. Un joueur de haut niveau perçoit certaines choses, mais entraîner réclame d’autres savoir-faire qui ne peuvent s’inventer.

Parlez-nous de votre méthode. Comment la définiriez-vous ?

Je ne sais pas s’il faut parler de méthode. J’ai posé quelques pierres, bien sûr. La première a concerné le système défensif. Dunkerque, c’était alors une grande histoire basée sur sa fameuse 3-2-1. Il me semblait que les joueurs qui composaient l’équipe seraient plus à l’aise sur une 0-6, une défense qui réclame par ailleurs nettement moins de débauche d’énergie. Ce changement a été très compliqué à mettre en place. Je ne me suis pas rendu-compte, au début, que j’allais remettre tout le monde à nu. Certains ont voulu défendre le statut qui était le leur auparavant, d’autres ont rechigné. Mais on y est arrivé. Si une équipe n’a pas cette base défensive, elle ne peut pas arriver au sommet. Ensuite, il a fallu construire des savoir-faire collectifs. Il y a souvent eu du potentiel individuel à Dunkerque, mais sans le cadre parfaitement adapté pour que le joueur exprime son potentiel avec le plus de justesse. Je me souviens par exemple qu’avec Seb (Bosquet), on jouait plus ou moins dans le même registre, alors que notre profil était tellement différent. Ce cadre me semble nécessaire et même indispensable. Pour moi, il n’y a pas de hasard. Je laisse une totale liberté aux joueurs de décider, mais à condition qu’ils évoluent dans le bon espace. Là, où on a progressé, c’est sur le fond de jeu, même si ce terme ne me convient pas complètement. Disons que l’on s’est enrichi du savoir-faire des uns et des autres….

Peut-être les avez-vous également décomplexés ?

C’est vrai qu’il y a eu pendant longtemps un complexe d’infériorité à Dunkerque. Comme si ces plaisirs-là étaient indéfiniment interdits… Je me suis servi de mon expérience, de ce que j’ai vécu avec Montpellier en 1995 et qui ressemblait assez à ce qui se déroulait sous nos yeux cette année. À Montpellier, on avait envie de partager des choses ensemble, on était une bande de potes, mais on bossait et on avait envie de réaliser de grandes choses. Dès le mois de janvier, après les fêtes, j’ai dit aux gars qu’on ne devait pas se contenter d’aller chercher une place européenne, que le titre était dans nos cordes, comme il l’était avec Montpellier, en dépit du grand OM-Vitrolles, qui était peut-être un peu trop sûr de sa force à l’époque. Bien sûr, ça ne s’est pas joué à grand chose, mais si l’on croit aux choses, il y a plus de chances qu’elles surviennent.


« EN M’ENGAGEANT AVEC DUNKERQUE, JE NE ME SUIS PAS TROMPÉ »


On vous a parfois dépeint comme un joueur au caractère affirmé, capable de prendre 24 matches de suspension pour avoir donné un coup de pied dans un pot de fleurs… Il a fallu polir ce caractère…

J’avais 18 ans au moment de la scène que vous évoquez. Mais oui, j’ai appris au fil du temps qu’il fallait évoluer en respectant la règle. À l’époque, je voulais prouver à tout le monde que je pouvais y arriver. Je sortais d’un quartier difficile et il me fallait avoir le courage de tout affronter. Maintenant, il faut aussi du caractère pour réussir dans un sport qui reste un sport de contact, d’engagement. Et je retrouve dans mon groupe ce même caractère qui m’a aidé à devenir ce que je suis aujourd’hui.

On se souvient de vos débuts troublés à Dunkerque. Ce titre est aussi un moyen de vous racheter ?

Tout ce que j’ai entrepris à Dunkerque depuis que j’ai mis un terme à ma carrière est lié à ce besoin de renvoyer la confiance que l’on m’a témoigné lorsque je n’ai pas su, pour diverses raisons, être à la hauteur des attentes. Ce dont je suis sûr depuis longtemps, c’est que je ne me suis pas trompé de club lorsque je me suis engagé avec Dunkerque. Je n’allais pas très bien à la fin de ma carrière, j’étais même dans une profonde souffrance, et j’ai toujours été entouré comme une famille entoure les siens, j’ai constamment été soutenu, et je voulais sincèrement me racheter. Au départ, intervenir avec les -17 ans appartenait à cette logique. J’ai été deux ans adjoint alors que j’étais au chômage sans être rémunéré, c’était aussi un besoin pour moi. J’aime bien pouvoir regarder les gens droits dans les yeux. J’y parviens aisément désormais.

À quels hommes avez-vous envie de penser aujourd’hui ? Daniel Costantini ? Patrice Canayer ? Oleg Velykky ?

Les hommes qui ont fait ce que je suis aujourd’hui sont très nombreux. Je ne peux évidemment pas ne pas citer Patrice (Canayer). Patrice, c’est dix ans de ma vie, dix années pendant lesquelles il a su me convaincre d’aller toujours chercher plus loin. Dans tout ce que je fais aujourd’hui, je m’inspire de la manière dont Patrice aborde ce métier. Daniel (Costantini) est également un homme qui m’a marqué. Quand j’ai un vrai doute, je n’hésite pas à solliciter l’un ou l’autre. Et puis, il y a Oleg… J’avais déjà rencontré un extra-terrestre, Monsieur Jackson Richardson, mais j’en ai connu un autre… L’histoire d’Oleg est tragique. Il était papa depuis deux ou trois jours lorsqu’il a appris qu’il été atteint d’un cancer. Il a lutté, sans cesse, il nous a donné de grandes leçons de courage. Je garderai en tête cette phrase qui ne peut pas être comprise par tous, mais qui m’a marquée, profondément. Alors qu’on lui disait de s’accrocher, de lutter, que le handball n’était pas le plus important dans tout ça, il répondait : « Si on m’enlève le handball, je préfère partir… ». ça montrait une détermination hors du commun, un chemin pour comprendre pourquoi certains sont de très grands champions.

Il y a un an, vous aviez été salué comme le meilleur entraîneur de la D1. Ce titre vous a-t-il rendu fier ?

Fier ? Certainement pas. Ça m’a même mis mal à l’aise. Je n’étais pas le meilleur entraîneur cette saison-là. J’étais encore jeune, inexpérimenté, moins méritant que les autres nominés. Bien sûr, sur le moment, ça flatte quelque peu ton égo, mais je ne suis pas dupe. On récompensait, à travers moi, le parcours de mes joueurs qui ne figuraient pas en nombre parmi les candidats aux honneurs… Et puis, je ne peux concevoir ce rôle individuellement. Le rôle d’Arnaud est tout aussi prépondérant dans nos résultats.

Longtemps, vous avez figuré parmi les rares joueurs français double-champions du monde. Certains possèdent trois titres aujourd’hui. Auriez-vous aimé jouer dans cette équipe des Experts ?

Bien sûr que oui ! C’est hallucinant ce qu’ils font. Ça fait plaisir de voir que cette équipe de France se renouvèle sans cesse, que l’équilibre est préservé avec intelligence. Nous étions, nous, tellement admiratif de ceux que réalisaient les Suédois à l’époque, alors qu’ils n’avaient jamais été champions olympiques, que j’image aisément ce que les autres pensent de nous.

Vous allez bientôt retrouver la Réunion entouré de vos amis. La Réunion, c’est Saint-Joseph, le Chaudron, le Stade de l’Est et quoi encore ?

La Réunion, c’est ce à quoi je pense tous les jours. Je n’avais qu’une envie, après ma carrière, celle de rentrer chez moi. On ne se rend pas compte, lorsque l’on se lance dans la carrière, de tous les sacrifices auxquels on va se confronter. Je n’ai pratiquement partagé aucun des moments, de joie, de peine, les fêtes et les naissances, avec les miens, et cette douleur-là est encore très présente aujourd’hui. Le bon côté des choses, c’est que cet éloignement, dès les premiers jours, m’a fait comprendre combien j’avais besoin des gens que j’aime. Je m’intéresse à tout ce qui se passe sur mon île, aux plans culturel, sportif, social. Ma plus grande fierté, je ne la puise pas dans mes titres, les victoires que j’ai pu obtenir, mais dans le fait que ce sport m’a réellement permis de changer, de devenir un homme responsable. De grandir. Je suis capable, aujourd’hui, de dire à mes s?urs, à mes parents, que je les aime, alors que c’était totalement impensable quand j’avais 18 ans… Le sport, c’est banal ce que je vais dire, reste une incomparable école de la vie, un moyen sûr de garder les gamins sur le bon chemin.

Vous êtes engagés avec Dunkerque jusqu’en 2017. Quelles sont vos ambitions ?

Il ne faudra surtout pas se satisfaire de ce que l’on vient de réaliser, même si on ne peut pas se permettre de viser le titre chaque année, ce ne serait pas raisonnable. Mais être un acteur majeur de ce Championnat, maintenant et demain, se faire connaître, aussi, au niveau européen, en figurant parmi les 16 meilleures équipes du continent est un challenge intéressant.

Patrice Canayer vous imaginait récemment dans la peau d’un sélectionneur…

On a une relation particulière avec Patrice, je vous l’ai déjà dit. Il m’a décrit comme quelqu’un de renfermé, mais avec une vraie détermination dans le regard, et il a entièrement raison. Le métier d’entraîneur, c’est comme celui de joueur, on doit apprendre les bases, les fondamentaux. Joueur, je voulais devenir le meilleur du monde. Je n’y suis pas arrivé. J’aimerais aller le plus loin possible dans ce métier d’entraîneur. Sans réellement savoir ce que cela veut dire…