Ressens-tu de la nostalgie lorsque tu arrives sur un Mondial ?
Je ne peux pas dire que je me sens encore joueur mais en effet c?était si bon de jouer. Je ne suis pas nostalgique, et je dois dire qu?au fil des années, un effort de mémoire est nécessaire pour me remémorer précisément le passé.
Champion du monde en 1995, tu y penses tous les jours ?
Non pas tous les jours. Mais on me le rappelle souvent. Et c?est agréable.
Mesures-tu l?ampleur de la performance de ce que vous avez réalisée en 1995 ?
Ce n?était pas facile car à l?époque nous n?étions pas considéré par nos adversaires, par les médias. Il y avait beaucoup d?embûches : c?était un combat permanent pour Daniel COSTANTINI qui se battait avec les clubs et la Fédération. 1995 restera une date fondatrice et ce n?est pas illégitime que les Barjots s?approprient cette période de notre histoire.
Cette appellation Les Barjots vous a t-elle servis ou desservis ?
Nous formions une équipe atypique qui buvait des bières après les matches mais bien sûr que cela n?était pas que ça. Nous sommes devenus champions du monde en travaillant comme jamais on a travaillé. On s?est fait aspirer par cette histoire de Barjots qui est devenue légendaire. Et ce n?est pas du tout désagréable. Pour faire perdurer l?histoire de cette équipe, il faut rentrer dans ce jeu-là.
Quelle empreinte avez-vous laissé sur le jeu, en particulier dans le handball français ?
Nous n?étions pas les meilleurs joueurs du monde mais la meilleure équipe du monde. La cohésion de groupe et l?esprit qui nous animait ont permis de décomplexer le handball à tous les étages et je pense aussi auprès d?autres sport-co. Plus que sur les aspects techniques et tactiques, on a modelé l?esprit du handballeur français. Je crois qu?on a ouvert la voie des possibles.
Quelle équipe ou quels joueurs ont inspiré ta génération ?
Nous n?étions pas les meilleurs mais nous avions peut-être le plus gros égo ! Tout le monde nous énervait. C?était difficile à vivre : les Suédois saluaient les Russes mais jamais nous ! Nous n?étions pas paranos. Nous étions vexé. Voilà, on nous prenait pour des charlots. Et cette colère nous a transcendés. Cette haine et cette colère ont trouvé leur apogée lorsqu?on a commencé à passer sur nos adversaires.
En 1995, pensiez-vous que l?équipe de France continuerait à remporter des titres ?
Non pas forcément mais en France on a toujours eu des joueurs exceptionnels. Mais il n?existait pas de structures professionnelles pour qu?ils puissent progresser. Je pense à des hommes comme Éric CAILLEAU, Jean-Michel SERINET, Jean-Michel GEOFFROY ou Jean FÉRIGNAC qui était un gardien exceptionnel. Il y a toujours eu de sacrés joueurs et nous nous sommes inscrits dans cette continuité là. Aujourd?hui on tire partie de l?excellence du travail réalisé qui conduit à cette merveilleuse équipe.
Évoquons le poste de pivot. Comment a t-il évolué ?
Le jeu a beaucoup évolué. À l?époque il y avait assez peu de 6-0. Cela consistait à un jeu d?appel de ballons dans les espaces. J?étais un chiatique : sur toutes les attaques je demandais les ballons. J?en demandais 10 pour en avoir 2. Frédéric VOLLE, Laurent MUNIER et Denis LATHOUD étaient mes principaux pourvoyeurs. Une phrase de l?époque m?avait fait plus ou moins plaisir : « Gardent c?est le meilleur pivot du monde des moins d?1m80. » D?abord je suis à 1m81 et je crois que cela n?était pas facile d?attraper le petit bourdon. La génération suivante a vu l?arrivée de grands pivots. Aujourd?hui le jeu du pivot consiste à un gain de position. Il est moins mobile. Il faut que ce soit un point de fixation. L?arrière fait le jeu pour écarter la défense.
Et Cédric SORHAINDO, il t?impressionne ?
Je trouve que Cédric est un défenseur extraordinaire. Il est très solide et s?inscrit dans une entente parfaite avec la défense. Son intelligence du jeu défensif est très intéressante. Au niveau de l?attaque, il a le physique pour tenir la position. Si je peux lui faire un petit reproche, il a tendance à s?affaisser, il manque de Jump et parfois cela conduit à des tirs en déséquilibre. Je connais bien ce défaut-là que j?ai eu aussi. J?aime ce mec-là car on ne l?entend pas et il fait un boulot énorme. En demies face à l?Espagne, en infériorité numérique, il marque un but très important sur l?aile sur un beau renversement de Valentin PORTE.
Comment l?entraîneur du Paris SG vit-il une compétition internationale ?
Dix joueurs de mon équipe participent à ce Mondial. Tu les surveilles, tu les regardes et tu croises les doigts. La crainte de la blessure freine l?enthousiasme. Je suis en relation avec Alain QUINTALLET qui m?a indiqué pendant la quinzaine que Samuel HONRUBIA travaillait comme un forcené. Après que tel ou tel joueur ne joue pas, c?est la loi du sport et cela fait partie du truc.
Comment concilier les festivités d?un titre mondial et le calendrier de ton équipe ?
Je connais l?importance de pouvoir fêter cela, d?autant plus que je l?ai vécu. Il ne faut pas être stupide et leur donner le plus de temps raisonnable. Mes joueurs auront rendez-vous jeudi soir, c?est court, mais on joue dès dimanche.
L?équipe de France est-elle la plus belle équipe de tous les temps ?
Je ne rentre pas dans ce jeu car ce n?est pas possible de comparer. C?est pareil pour le meilleur joueur de tous les temps. On peut avoir de l?objectivité pour élire le meilleur de la décennie. Après le palmarès parlera mais les comparaisons sont difficiles car il y a plus de compétitions qu?auparavant. Indiscutablement l?équipe de France actuelle fait partie des équipes les plus monstrueuses de l?histoire.
La présence de Kentin MAHÉ est un lien concret qui uni les deux équipes?
Et bientôt de Mélvynn RICHARDSON. Leurs papas étaient géniaux, leurs enfants le sont aussi. En effet c?est concret. Beaucoup de gens ont essayé de nous opposer : c?est insupportable. Après les joueurs de l?équipe de France, il n?y a pas plus heureux que nous de les voir gagner ! Il n?y a pas plus grands supporters que les Barjots. Il faut rester vigilants car c?est fragile. On peut le constater dans d?autres sports, au sein même parfois de la même génération.
Comment avez-vous réussi à maintenir ce lien ?
Pendant les 10 années du Barjots Tour, personne ne manquait à l?appel. On a entretenu notre histoire et les salles étaient pleines. OK à la fin c?était des matches de gala avec des gars un peu bedonnants… Avec le temps, nos retrouvailles s?estompent car certains sont partis à gauche ou à droite. J?espère que la génération actuelle saura mettra en place des actions pour se retrouver.