Les scènes les plus inédites se déroulent alors dans la salle. 6000 Hongrois sont assommés par une chape de plomb. Les joueuses espagnoles, fidèles supportrices de l’équipe de France depuis quelques jours, entament avec l’accent : « Allez les Bleues, allez les Bleues. » Frédéric Brindelle lâche : « on n’en peut plus. » Claude Onesta confirme : « elles vont nous faire mourir. » L’entraîneur coréen Lim Young Chul, qui avait pris place dans la tribune de presse et qui n’est pas forcément connu pour être quelqu’un de très expansif, se tourne vers une journaliste française pour lui taper dans les mains, Laurent Lejeune, le mari de Leïla, fait un petit malaise. Un autre mari, pas vraiment amateur de handball, appelle sa femme journaliste, pour lui hurler dans son portable : « C’est incroyable, hallucinant. La fille qui a pris le rouge et qui provoque le penalty à la fin, il faut lui envoyer des fleurs pour la remercier. » Et c’est vrai, si Anita Görbicz n’avait pas commis cette faite sur Véronique Pecqueux-Rolland, il n’y aurait pas eu penalty. Et on ne saura jamais si le contre de Véro, aurait fini au fond des filets de Palinger. On ne saura jamais et après tout, est-ce qu’on a vraiment envie de savoir ?…
L’ambiance a radicalement changé. Tous ceux qui ne connaissent ne serait-ce qu’un peu ces joueuses savent que si elles arrivent à arracher une prolongation après avoir été menées de 7 buts, elles ne peuvent plus perdre ce match. « Là, j’ai vraiment recommencé à y croire, avoue Valérie Nicolas. Avant la prolongation, je pensais que c’était fini. » La gardienne tricolore montre d’ailleurs un tout autre visage que lors du temps réglementaire. La prolongation commence avec un 3-0 de l’équipe de France qui exploite à la perfection sa supériorité numérique. 31-28 Frédéric Brindelle se lâche : « le trou est fait. » Claude Onesta laisse parler le coach qui sommeille en lui : « restons concentrés. »
Les Hongroises reviennent à deux buts mais c’est tout ce que Valérie Nicolas leur accordera. La jambe de Bertrand Jolliot de l’Est Républicain, s’agite frénétiquement, mais les Françaises sont désormais maîtresses de la partie.
70e minute de jeu, la finale est terminée, la France a gagné, les joueuses pleurent. Les entraîneurs aussi, les commentateurs ne commentent plus, tous les journalistes sont debout et applaudissent.
La folle nuit croate avant la déferlante médiatique
Premières réactions à chaud. Comment avez-vous fait pour gagner ? « D’habitude, j’ai réponse à tout, mais là, franchement, je ne sais pas. » Qu’est-ce que ça fait d’être championne du monde ? Véronique Pecqueux-Rolland : « Ben je ne sais pas, je crois que je ne réalise pas vraiment. » Vous paraissez bien calmes pour des championnes du mondes ? Stéphanie Cano : « C’est qu’on n’a pas vraiment l’habitude, on s’excuse. »
C’est vrai, par rapport à l’année passée où l’équipe avait gagné le bronze à l’Euro danois, l’ambiance est d’autant plus calme. Pas de folle sarabande ni de danse de joie. Dans leur hôtel, les filles se sentent surtout vidées et un peu sous le coup de l’émotion. Leïla Lejeune ne se remet pas de son penalty : « On est des folles, on est des folles. » Patricia Saurina, la chef de délégation, se couche de tout son long par terre, dans le couloir. « Elles m’ont tué. » En bas, au tour du bar, Olivier Krumbholz fait et refait inlassablement le match. Dans la salle de restaurant, les autres délégations sont de belle lurette et attendent les dernières, les Françaises. Elles arriveront avec le trophée dans les bras de Myriam Said-Mohamed et beaucoup de retard, privilège de championnes du monde. A l’une des tables voisines, dire que les Hongroises ont l’air « défaites » est un doux euphémisme. Un membre de la délégation trouve pourtant le courage de venir féliciter Mélinda Jacques-Szabo.
Après un repas vite expédié, les filles veulent se retrouver, entre elles, pour fêter, pour la première fois, un titre. Klaudjia Bubalo, ancienne joueuse, ancienne joueuse croate de Metz, tient un bar dans les faubourgs de Zagreb. C’est le point de chute idéal. La soirée commence avec Frédéric Brindelle, obligé d’honorer un pari. Disons qu’il a gardé sa dignité même s’il n’a pas pu conserver tous ses vêtements. La soirée finira bien tard. Ou bien tôt, cela dépend comment on le prend. En fait, la plupart des joueuses passent une nuit blanche. De toute façon, elles ne pourraient sans doute pas dormir. À 06h30, rendez-vous dans le hall de l’hôtel pour rallier l’aéroport où les attend le vol Croatia Airlines de 09h15 pour Paris. À Roissy, grosse surprise. Si les supporters ne sont pas nombreux, la presse a fait le déplacement en masse. Tous les médias sont présents et braquent micros, caméras et stylos sur des sportives pas vraiment habituées à une telle débauche médiatique. Les portables de Nadège Coulet et de Philippe Bana sont au bord de la fusion. Toutes les émissions, radios et télés, les éclament. Le lendemain, c’est Jean-François Lamour et Jean-Pierre Raffarin qui les attendent. Jacques Chirac, lui, c’est pour plus tard. Pas de répit pour les braves. Et il y aura le retour en club, et d’autres interviews, et d’autres invitations. C’est vrai, mais ce tourbillon a un nom : la rançon de la gloire.