Championne du monde, d’Europe et championne olympique, Estelle-Nze-Minko fait partie des handballeuses françaises les plus populaires. Désignée meilleure joueuse de l’EHF EURO 2020, la sociétaire de Györ en Hongrie, pose un regard éclairé sur la médiatisation du sport féminin.

Quel constat fais-tu sur la visibilité du sport féminin, et particulièrement du handball féminin aujourd’hui ?
J’ai la sensation d’être privilégiée car je sais que le handball féminin bénéficie d’une médiatisation nettement supérieure à énormément de disciplines féminines. Ceci-dit, c’est toujours la question du féminisme et des droits : est-ce que l’on s’en contente ? Est-ce une bonne raison pour se taire et ne pas en demander plus ? C’est un peu notre cas aujourd’hui. Effectivement le handball féminin est bien positionné comparé à nos homologues mais quant on se bat pour une cause, on se bat pour tous les gens que ça touche. On ne va pas arrêter de se battre parce que notre situation s’améliore. Donc, clairement, le sport féminin a besoin d’être plus médiatisé de manière générale. Et peut-être que le handball, avec sa situation privilégiée, a un impact.

Pour toi, quelles seraient les solutions pour continuer de développer cette médiatisation ?
En tant qu’handballeuse, ce qui est assez curieux, c’est qu’il y a un écart entre la médiatisation de l’équipe nationale et le championnat national. Il y a un vrai fossé entre la Ligue Butagaz Énergie et l’équipe de France. Clairement, cela veut dire que même si l’équipe de France fait de bons résultats, ça n’aide pas tant que ça le championnat de France. Quand les gens regardent notre équipe performer, on espère qu’ils vont s’attacher à des personnalités, à des joueuses, et donc on espère leur donner envie de les suivre et de les voir évoluer quotidiennement. Et puis c’est tellement génial de suivre une équipe comme Brest où il y a des personnalités étrangères que les gens vont aussi retrouver dans les compétitions internationales.
La différence avec la Hongrie est incroyable. Ici, le pays est plus petit donc il y a moins de sport à consommer, et il y a un vrai engouement autour du handball. C’est aussi lié au fait que tous les matches de championnat sont retransmis toutes les semaines, et en clair ! Le handball vient à toi en Hongrie. Alors je ne sais pas qui était là le premier, l’engouement pour le handball ou les médias qui l’ont proposé et ont développé l’intérêt des spectateurs ? Des gros clubs représentent bien le pays, mais en France c’est aussi vrai. Enfin, le diffuseur, pour un championnat, fait clairement la différence !

Pourquoi est-ce important pour toi de prendre la parole sur des sujets socio-culturels et à enjeux dans les médias ?
À la base, je ne me sentais pas forcément légitime et puis on ne se rend jamais vraiment compte de l’impact que l’on a sur les gens. Ce n’est pas le nombre de followers qui te donne des indications. En plus, dans mon cas, ça fait longtemps que je joue à l’étranger donc je ne croise pas énormément les gens qui me suivent depuis longtemps ou qui me connaissent bien. Ce qui m’a fait réaliser l’impact positif que je pouvais avoir, c’est lors de mon camp d’été « Les Intrépides », que j’ai lancé pour des gamines à Bourg-de-Péage pendant les vacances d’été. J’ai pu réfléchir sur les modules qu’on proposait en dehors du handball et j’ai ajouté la préparation mentale, pour essayer de me rapprocher des jeunes et comprendre ce qui se passait dans la tête d’une handballeuse de 12 ans. Ce qui était hyper intéressant, c’est qu’au fur et à mesure des discussions dans des petits groupes, je me suis rendue compte qu’à cet âge-là, elles n’ont pas confiance en elles, elles ont déjà un rapport à leur corps compliqué, elles ont des doutes, etc… Et ce que je pensais uniquement lié à moi, je me suis rendu compte que c’était universel. Ce sont des sujets qui m’ont toujours intéressée, sur lesquels je lis car ils me touchent beaucoup. Ce stage a clairement déclenché quelque chose. Je me suis rendu compte que j’avais une voix, que des personnes me prenaient pour exemple, m’écoutaient, donc il fallait que je parle de choses qui pouvaient les aider.

Quel est ton plus beau souvenir de handball féminin ou même de sport féminin au niveau médiatique ?
Clairement c’est l’EHF EURO 2018 en France. Je me rappelle quand on est arrivé à l’Accor Arena, c’est la première fois que je jouais là-bas. Avant les phases finales il y a toujours ce media day organisé par la compétition. Ce jour-là, il y avait une espèce de parc à moutons en plein milieu du terrain dans lequel on devait déambuler pour donner des interviews, mais surtout il y avait un nombre incalculable de médias et de journalistes présents ! Cette compétition, ça a été le rendez-vous où on a senti le plus qu’on avait pris une dimension nouvelle. Regarde le nombre de spectateurs pour la finale, de téléspectateurs, de retombées médias. On a toutes pris une certaine petite part de célébrité à ce moment-là, tellement rapidement. Et ce que l’on n’a pas eu pendant les J.O par exemple, où on s’est un peu retrouvées noyées parmi les autres sports.

Propos recueillis par Diane Prouhet