Luc Abalo disputera cette semaine, avec son club du Zeekstar Tokyo, les demi-finales du championnat japonais. La finale des plays-offs est en effet programmée le mardi 21 mars, soit potentiellement la date du dernier match de la carrière professionnelle du triple champion olympique.

Avais-tu imaginé que le Japon t’offrirait les dernières émotions de ton immense carrière ?
Ce n’est pas forcément l’endroit où je suis qui a généré cette montée d’émotion. En fait, depuis l’année des Jeux, je sentais que c’était bientôt la fin. Et du coup, depuis un moment, je me remémore les aventures vécues, les gens qui m’ont aidé. Je pense vraiment aux bons moments, c’est génial. Pendant ma carrière je pensais plus aux problèmes, car pour gagner des titres, il faut résoudre des problèmes. Repenser à tous ces moments-là fait remonter des émotions.

Et tu n’as pas pu retenir tes larmes lors de la cérémonie organisée par ton club lors du dernier match à domicile…
En fait, j’ai tapé dans la main de mes coéquipiers et lorsque je suis arrivé au milieu de la file, un de mes coéquipiers était en pleurs. Ça m’a fait chialer direct. J’étais bouleversé. Je n’ai pas cherché à contrôler. J’ai aussi posté une vidéo qui retrace ma carrière, sur les réseaux sociaux, et pendant que je faisais le montage, j’avais les larmes aux yeux. C’est bon de revoir tous ces gars que j’ai aimé.

Des larmes de tristesse ou bien ?
Non non, c’est juste se rendre compte de ce que j’ai vécu et c’est bon. Après un titre, on passe tellement rapidement au match d’après qu’en réalité, on n’a pas de recul et on ne voit pas le temps passer. À peine tu as le temps de faire l’analyse que tu dois enchaîner. En faisant cette rétrospective, je suis retombé sur des vieux matchs. J’en ai revu de 2014 lorsqu’on a gagné l’Euro au Danemark et je tombe sur Igor Anic. C’est vrai, c’est cool, il était là. Cela prouve qu’on enchaîne trop, qu’on oublie. Ce n’est pas négatif, ce n’est pas le hand, c’est la vie qui est comme ça.

Es-tu parfois gagné par la nostalgie ?
À aucun moment, je pense à ce que j’ai gagné. Comme j’ai joué longtemps, j’ai eu plein de coéquipiers. Je repense aux premiers lors des Jeux méditerranéens en 2005 avec Patrice Annonay, Seufyann Sayad, Yohann Ploquin, Franck Junillon… Je me suis amusé à refaire toutes les équipes, revoir tous les noms. La vraie richesse, ce ne sont pas les titres, ce sont les gars avec qui j’ai joué.

As-tu été surpris par l’émotion et l’affection de tes partenaires ?
En fait on n’a pas la bonne image des Japonais. Déjà, en Norvège, j’avais été surpris des préjugés que l’on peut avoir. En Norvège et au Japon, mes coéquipiers ont moins caché leurs émotions que ceux que j’ai eu en France. Ici, au Japon, les gens font preuve d’une grande gentillesse, c’est incroyable. Au club, les gens sont adorables ; leur gentillesse m’a aussi beaucoup touché.

Ton palmarès te confère un statut de star internationale. Tes partenaires avaient-ils un comportement particulier avec toi ?
Franchement, je ne m’en suis pas rendu compte. Ils avaient envie de me montrer qu’ils étaient des joueurs importants. Donc non il n’y avait pas ce truc d’admiration. Quand je suis arrivé dans le championnat japonais, les arbitres me sifflaient mal. Ils étaient focus sur moi. Puis après ils se sont détendus (sourire).

Et comment se passait la communication avec eux ?
Une traductrice était à mes côtés pour tous les entraînements et les matchs. J’aurais bien aimé être en galère pour plus parler japonais. C’est très compliqué de passer par la traduction, très spécial, et c’est une expérience que je ne veux plus vivre. Pour dire un truc, ça prend trois fois plus de temps ! Ici, il ne faut pas brusquer les gens. On cache les problèmes. Quand ça ne marche pas dans une équipe en France, on se prend la tête, on s’engueule mais derrière y’a quand même de l’amour. J’espère que c’est un truc qui me servira pour la suite de ma vie. La remise en cause commune en équipe de France était super. Quand je repense à ces moments-là, je suis aussi ému.

Et les échanges avec le coach de l’équipe ?
C’est compliqué de prodiguer des conseils, de passer par la traductrice qui les donne au coach qui éventuellement ensuite les transmet aux joueurs. Les dirigeants du club ont essayé d’expliquer à la traductrice les termes techniques mais cela avait l’air compliqué d’autant plus que leur vision du handball est très différente. Notre façon de parler du handball parait plus simple.

En quoi tes partenaires présentent des profils physiques ou techniques différents ?
Dans mon équipe, deux mecs font 2m, deux autres 1m90. Le club a recruté de bons joueurs et donc on ne peut pas considérer qu’il existe un déficit physique ou de taille. En revanche, ce qu’il y a de spécial, c’est leur façon de se placer sur le terrain, aussi la direction de leur course. Au-delà de la façon de se placer, soit le joueur te met une revue, soit il lâche tout de suite le ballon car il s’est fait attraper. En France, et pas seulement, on se situe dans des duels au corps, au contact, pour enfoncer la défense.

Peux-tu revenir sur la façon dont tu as intégré le club tokyoïte ?
Pendant les Jeux de Tokyo, j’ai dit à Tim (Timothey N’Guessan) que j’aimerais bien vivre une expérience au Japon et que je souhaitais contacter Rémi Feutrier, son ancien partenaire à Chambéry. Voilà, cela s’est fait par connaissance. Au tout début des contacts, je n’avais pas idée de l’ambition du club ni de ses objectifs. Je me suis rendu compte que l’entreprise Future investissait pour remporter le championnat. Son dirigeant a joué autrefois au handball, un sport qu’il adore, et il visait de faire venir les meilleurs joueurs du Japon.

Pendant ces 18 mois, as-tu pris le temps de découvrir le Japon ? Dans le sillage de Rémi Feutrier ?
En fait, je suis ici pour jouer au hand donc je n’ai pas tant visité que cela. Je suis bien allé dans plusieurs villes mais sans disposer du temps pour les découvrir. De plus, je dispose d’un seul jour de repos et je vis seul ici. Ce n’est pas idéal pour visiter. Au Japon, j’ai bien capté ce qu’était la solitude. Rémi est une star au Japon et il est beaucoup sollicité, de plus il a sa famille. Après les matches il m’a souvent convié à aller au restau avec des amis.

Comment vis-tu les compétitions de l’équipe de France ?
Lors de l’Euro 2022, cela m’a fait bizarre d’être en vacances et de voir les gars en compét. J’avais envoyé un message à tout le monde, ce que j’ai fait aussi cette année au moment du Mondial. Je suis fier de les voir jouer, de se battre et quand je regarde les matchs, j’ai l’impression de tout voir et de tout comprendre. C’est comme si je vivais encore le truc. Tu connais le processus et c’est super intéressant de voir les forces et les faiblesses. Vraiment, c’est beaucoup de plaisir de suivre Niko (Nikola Karabatic) toujours aussi fort, aussi Val (Valentin Porte), tous ceux avec lesquels j’ai joué. Avec Mika (Michaël Guigou), on s’appelle pour faire le debrief. En fait quand tu as fait le taf avec ton équipe, tu n’es pas à espérer qu’elle se casse la gueule. Je n’ai qu’une envie : que l’équipe de France gagne encore.

Lorsque tu te retournes sur les trois dernières saisons et ton rebond après le départ du Paris SG HB, en quoi est-ce inspirant ?
Lorsque j’ai quitté le PSG, le club s’est aussi séparé de Gensheimer et de Sagosen, de très bons joueurs, donc je pense que c’était plutôt lié à une réduction du budget qu’à un niveau de performance. J’avais envie de continuer encore une année après les J.O. Je me disais aussi que ce n’était pas la fin du monde d’arrêter un an plus tôt que prévu, de ne pas trop pousser mon physique et passer ainsi à une autre étape de ma vie. On m’a souvent dit : « toi dans le hand si tu as l’air si cool » mais en réalité je me suis toujours pris la tête. Et c’est parfois bien de se prendre la tête car cela apporte des résultats. Bref, le Covid est arrivé et il a fallu rempiler pour une saison de plus puis la proposition d’Elverum est arrivée.

La crise de la Covid-19 s’est poursuivie et la saison passée à Elverum n’a pas été un long fleuve tranquille…
Quand j’étais bloqué, je n’ai pas eu peur de régresser. En revanche, je craignais que Gino (Guillaume Gille), lui, prenne peur : « Luc ne va pas arriver en forme ». Je lui ai dit : « est-ce que toi tu ta confiance en moi ? Si tu me dis que tu as confiance en moi, c’est bon ». Franchement, en tant que coach, c’est une démarche très intelligente. En fait quand tu donnes de l‘amour et de la confiance, les joueurs donnent tout. C’est comme un gosse aves ses parents : s’il se sait aimer, il fera moins de conneries. Qu’est ce qui aurait pu me faire manquer les J.O. ? C’est le manque de confiance. Si tu es contraint de ne pas pouvoir t’entraîner, tu ne vas pas régresser en quelques semaines. Je suis un bosseur et j’avais une mission : les Jeux ! J’y ai tellement pensé à ces Jeux…

Quels sont tes projets d’avenir ?
Jusqu’à présent, j’ai mené d’autres activités que le handball (la peinture, la photo, la marque de vêtements) mais plus sous la forme de hobbies. Ce qui m’a permis de vivre, c’est le handball. Je dois donc choisir une activité qui me permette de m’épanouir et d’avoir des revenus. Je me connais et quand je fais un truc je le fais à fond. En réalité, je ne vais rien changer : je vais faire de la photo puisque je dispose d’un studio à Paris, de la peinture et m’occuper de ma marque de vêtements L.A.N. Je dois aussi définir la collaboration avec le club de Zeekstar Tokyo, qui sera facilitée si je suis en free-lance et donc plus disponible.

Propos recueillis par Hubert Guériau