Défaillantes en attaque placée le week-end dernier à Montbéliard, les Bleues vont devoir être plus performantes dans ce secteur pour se qualifier pour le Mondial. Face à la défense étagée de la Croatie, le jeu sans ballon apparaît comme l’une des clés du match retour. Explications.

« Jouer sans ballon », le concept est à la fois simple à comprendre et difficile à mettre en pratique. Il s’agit, pour une joueuse de champ, de s’engager dans un espace laissé libre par la défense avant même de recevoir le ballon, et non après l’avoir reçu. « Le but est de prendre la défense de vitesse, de se démarquer pour créer une solution de tir relativement facile », explique la gauchère tricolore Alexandra Lacrabère. « Le jeu sans ballon est la marque du haut niveau, renchérit Olivier Krumbholz. Pour juger du niveau de jeu d’un match de handball, il ne faut pas regarder la balle, mais tous les mouvements des joueurs autour du porteur de balle. Parce qu’en Nationale 3 aussi, on peut trouver des gens qui savent faire de belles choses avec le ballon ! »

Le décalage flagrant entre les deux mi-temps du match aller France vs Croatie a ainsi mis en lumière tout ce qu’un jeu sans ballon peut apporter, surtout face à une défense en deux lignes et assez haute comme celle que les Croates ont pratiquée (défense en 1-5, avec une joueuse en position avancée destinée à gêner le jeu des arrières). « En première mi-temps, on n’a fait que porter le ballon et essayer de gagner des duels, analyse Claudine Mendy. Résultat, la joueuse en position avancée nous a enterré toutes les balles, leur défense n’a jamais été mise en difficulté, et on a marqué que cinq buts. En deuxième mi-temps, on a libéré la balle plus tôt, on a joué davantage dans la compensation, dans les espaces, avec par exemple des rentrées d’ailières à l’opposé de là où se trouvait le ballon. Cela a payé immédiatement, et on s’est aperçues que leur défense n’était pas si impressionnante que ça? »

Lacrabère : « Déjouer le piège de la défense en lui tendant un autre piège »
« Le jeu sans ballon est toujours important, mais il l’est encore plus face à ce type de défense étagée et relativement haute
, reprend le maître tacticien Olivier Krumbholz. Car dans ce cas-là, le porteur de balle est forcément perturbé, empêché de s’exprimer, alors il ralentit son jeu et joue pour ne pas perdre la balle plutôt que pour créer une solution. On l’a vu samedi dernier : on n’a pas perdu beaucoup de ballons, mais on a très peu marqué de buts ! Toutes les filles connaissent l’importance du jeu sans ballon, et on espère avoir fait des progrès dans ce domaine cette semaine à l’entraînement. Mais le problème dans cette histoire, c’est la monstruosité des habitudes. Dans leur jeunesse, les joueuses sont habituées à travailler balle en main. Et il est assez naturel, quand on est sur le terrain, de regarder comme un spectateur le porteur de balle en espérant qu’il va faire une différence, par exemple une fixation qu’on va pouvoir ensuite exploiter. Jouer sans ballon réclame donc des gros efforts, mais quand elles y parviennent, ça change la face du jeu. »

Alexandra Lacrabère est l’une de celles qui se régalent le plus dans le jeu sans ballon : « C’est mon style de jeu, j’aime ça, car ça consiste à créer des solutions pour moi et pour les autres, et à jouer au chat et à la souris avec la défense, à déjouer son piège en lui tendant un autre piège. Ce jeu implique d’être en mouvement en permanence, il ne faut pas être fainéant sur des petits détails, sinon on n’y arrive pas. Il réclame beaucoup de coordination, des bons timings. Celle qui s’engage dans l’espace libre ne doit pas s’engager trop tôt, afin de laisser le temps à la porteuse de balle de travailler. Et puis il faut s’engager dans la profondeur, pas de manière latérale, sinon ça ne sert à rien. »

Mendy : « En jouant sans ballon, on est dans l’inconfort »
Sa collègue de la base arrière, Claudine Mendy, insiste sur la difficulté à mettre en pratique le jeu sans ballon : « Cela demande une plus grande concentration, il faut sans cesse penser à s’engager ou à lâcher la balle plus tôt que ce qu’on a l’habitude de faire. Ce n’est pas une démarche naturelle. On a davantage l’habitude de réciter ce qu’on sait faire, face à une défense aplatie. En jouant sans ballon, on est dans l’inconfort. On peut se retrouver en crise de temps entre le moment où on reçoit la balle et celui où on va tirer, et du coup on rate davantage de tirs. Mais il faut sans doute accepter de perdre plus de ballons et de manquer plus de tirs pour mettre plus en difficulté notre adversaire. On a vu sur la deuxième mi-temps de Montbéliard que le ratio était nettement meilleur qu’en première. »

La France n’est évidemment pas la seule équipe à éprouver ces difficultés face aux défenses étagées. « C’est une problématique générale, il n’y a guère que les Norvégiennes qui ont un plus dans ce domaine. Samedi dernier, les Croates n’ont pas non plus fait une démonstration de jeu sans ballon face à notre défense », relève Olivier Krumbholz. La France a cependant déjà réalisé des prouesses en la matière, par exemple sur la défense 2-4 du Danemark lors de la Golden League du mois de novembre (35 buts marqués et un festival de grosses solutions trouvées). « Je suis sûr qu’on trouvera beaucoup plus de solutions en attaque que le week-end dernier, promet l’entraîneur français avant le match retour capital en Croatie. Ce qui ne veut pas dire qu’on mettra beaucoup plus de buts, car ensuite il y a l’échec au tir et le nombre de balles perdues qui rentrent en ligne de compte. »


Les Femmes de Défis ont en tout cas la recette pour faire déjouer la défense 1-5 croate. Ne reste « plus qu’à » l’appliquer, et à la faire mijoter pendant soixante minutes?