Capitaine des Bleus depuis novembre dernier, Valentin Porte se présente en éclaireur d’une équipe de France, recomposée mais conquérante, au moment où se lance la dernière ligne droite de préparation avant l’Euro 2022 en Hongrie et Slovaquie qui démarre le 13 janvier prochain. Dans un contexte forcément particulier, la parole du taulier gaucher est éclairante et pleine d’enthousiasme pour un entretien du lundi dense.
Valentin, vous avez retrouvé la Maison du handball dans un contexte spécial, ce dimanche. Comment est l’ambiance ?
L’ambiance est forcément un peu bizarre car chacun a un peu peur d’être positif à un test et de se retrouver un peu gêné dans la préparation, voire que puissent se refermer devant lui les portes d’une grande compétition internationale. Parce qu’être positif début janvier, ça équivaudrait à être en grande difficulté pour la suite des événements. Tout le monde a donc ça niché quelque part, mais on essaye tout de même de compartimenter les choses. Il faut que l’on arrive à s’aérer la tête et que l’on ne soit pas bloqué là-dedans. Il ne faut pas se morfondre par rapport à ça. Du coup, dimanche, on a pu faire un petit réveil musculaire, quand tous les tests ont été transmis. On a fait un peu de muscu, un peu d’abdos et du foot pour décompresser. Ensuite ce lundi matin, on a fait une séance de muscu classique : la préparation suit son cours tout en attendant les tests quotidiens.
On imagine que vous avez dû vivre, ces derniers jours, un peu plus encore comme des ascètes afin d’arriver avec le moins de soucis possibles, non ?
Oui, c’était le marché. Comme on était libres pour passer le nouvel an en famille ou entre amis, il fallait que l’on prenne nos précautions. Moi j’ai demandé aux amis avec lesquels je passais le nouvel an de tous faire un test la veille. Ils ont tous joué le jeu. Après, on verra de quoi est fait le lendemain mais tout le monde s’est conformé à ça du mieux possible.
Vous entrez dans la ligne droite de votre préparation à l’Euro, comment sens-tu l’équipe ?
Pour le moment, on amorce le travail donc c’est compliqué de pouvoir évaluer les forces en présence au sein du groupe. Du 26 au 30 décembre, on n’a jamais pu s’entraîner vraiment correctement. On ne l’a fait vraiment qu’une fois car il y avait énormément d’absents. Là, on doit composer avec des blessés, des nouveaux cas. Donc on n’a pas pu enchaîner beaucoup d’entraînements complets avec un effectif étoffé. Il n’y a donc pas d’éléments vraiment tangibles sur ce point-là. Mais ce que je vois, c’est qu’on a un groupe motivé, avec de la qualité et qui est, physiquement, plutôt bien. Maintenant, j’espère que l’on va pouvoir profiter de ce début janvier pour enchaîner les entraînements de qualité et que nos réglages soient fins prêts.
Au-delà des arrêts déjà entérinés après l’été, et des diverses absences potentielles (blessures ou covid), c’est tout de même une équipe de France inédite qui va se présenter pour cet Euro en Hongrie et Slovaquie. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Ça va être une équipe pas mal remaniée si elle reste telle quelle. Entre les blessures, certains cas de Covid, ça ne sera clairement pas la même équipe qu’aux Jeux olympiques. Mais moi, ça me plait bien. J’aime bien ce genre de challenge, ce genre de moment où on peut découvrir des joueurs. Certains ne sont pas attendus, pas connus, et c’est dans ces cas-là que l’on peut avoir de bonnes surprises. Après, c’est à nous d’aider à ce que même un joueur qui n’est pas le plus connu au niveau international puisse performer en équipe de France. On a un vivier de grande qualité et ce genre de compétition peut le prouver au monde entier.
Le fait d’avoir intégré quelques nouveaux lors du précédent stage, en novembre, est donc bienvenu…
C’est en effet très bien parce qu’on a vu certains joueurs effectués leurs premiers pas à ce niveau-là. Ils ont pu prendre des repères et ceux qui vivront la compétition qui arrive ne seront pas surpris. On a pris un peu d’avance grâce à ça. Maintenant, ça ne sera pas la même équipe de notre côté, pas plus que les mêmes équipes en face. Néanmoins, c’est un bonne chose et ça permet de désinhiber.
Pour tes premiers capitanats, avec un effectif rajeuni, vous avez encaissé une défaite face au Danemark (26-31) puis vous avez battu la Norvège (25-31), quel bilan en tires-tu ?
Pour moi, ces rencontres de novembre ont été vraiment très positives. C’est vrai qu’au premier match, on joue tout de même le Danemark, qui est une énorme nation et qui était presque au complet. En tous cas avec très peu d’absents par rapport à nous. Donc c’est clair que l’on a été dominés sans avoir rien lâché non plus. Il y a eu de bonnes choses, on a su revenir en seconde mi-temps notamment. Mais surtout, ce que je retiens, c’est qu’entre les deux matchs, séparés d’à peine une journée, en discutant pas mal entre nous, avec du travail vidéo, on a pu montrer un tout autre visage et battre une équipe de Norvège, certes remaniée, mais chez elle, et avec la manière.
Il y a eu un peu de vexation ?
Je ne sais pas si c’est le terme. Il a fallu se rendre à l’évidence que l’on avait été moins bons face au Danemark et que la défaite était logique. Il fallait s’en servir pour remporter le match suivant. On a analysé le match et on y a puisé une sorte de motivation car ça n’était tout de même pas possible d’enchaîner deux défaites de suite, quelque chose qui arrive rarement en équipe de France. Et puis on avait à cœur de se récompenser car la semaine de travail avait été qualitative.
As-tu réussi à trouver ta « nouvelle place » de capitaine lors de ce rassemblement ?
Ce qui est sûr, c’est que pour démarrer, ça me plaisait bien d’avoir une équipe un peu remaniée. C’est plus simple pour le discours, je pense, car tout le monde est surmotivé. Il suffit d’allumer une petite étincelle et tout le monde embraye. Maintenant, l’équipe va être un peu plus au complet et il y aura peut-être un discours un peu différent – ou non – car ce ne sont pas les mêmes joueurs non plus. Je dois réfléchir à pas mal de choses encore (sourire). En revanche, ça n’est pas parce que je suis capitaine que je vais monopoliser la parole et intervenir tout le temps. Je vais essayer d’aider tout le monde à performer le plus, que ce soient les nouveaux joueurs ou les plus anciens. L’idée est de garder l’état d’esprit vu aux Jeux Olympiques afin que l’on reste en ordre de bataille pour gagner.
Il y a 8 ans, tu disputais ton premier Euro comme joueur avec le succès que l’on connait pour toi l’équipe de France puisque vous vous étiez imposés en finale face au Danemark en finale, avec en prime 9 buts de ta part. Aujourd’hui tu vas aborder ce sommet continental en tant que capitaine, qu’est-ce que cela te fait ?
Ce premier Euro, ça avait été exceptionnel pour moi car j’avais raté les trois premiers matchs pour cause de blessure. Et pour quelqu’un qui devait commencer à avoir quelques responsabilités, on a vu mieux comme démarrage. Mais je suis revenu petit à petit tandis que l’équipe était déjà très bien en place. Ça m’a donné confiance au fil de la compétition, puis surtout dans le dernier carré. Là, on a atteint un summum en terme d’état physique, mental, tactique et de jeu. L’apothéose, c’est évidemment la finale au cours de laquelle on marche sur le Danemark. C’est un souvenir magnifique. On aurait pu jouer 3h, on n’aurait jamais perdu. Pour moi, ça a été un grand moment de handball et voir les Bleus à ce niveau-là, c’était magnifique.
Du coup, je suis bien placé pour savoir que c’est la compétition la plus compliquée tout de même. Elle est très dense. Tu démarres tout de suite avec trois matchs de grande qualité. Tu sais que ça va toujours être compliqué et que seulement deux équipes passeront. On a vu ce que cela fait lors du dernier Euro… et que cela peut aller très très vite mal… Derrière, si tu passes, il n’y a que des grosses équipes qualifiées. Il n’y a pas un match facile tout au long de la compétition. Il faut être réguliers et performants pendant deux semaines alors que sur d’autres compétitions tu peux lever un peu le pied à un moment. Je m’attends à une compétition compliquée.
Tu espérais, plus tôt dans cet échange, voir émerger des révélations dans les jours et semaines à venir du côté de l’équipe de France, comme tu avais pu en être une sur l’Euro 2014. Qui pourrait l’être ?
Le truc, c’est qu’en 2014, j’étais le seul « nouveau » en équipe de France. Il n’y avait que des monstres autour de moi donc, quoi qu’il arrive, j’allais être un peu une surprise. Les mecs me laissaient jouer et si le petit jeune se trouait, bon bah tant pis… Mais ça n’a pas été le cas (rires). Là, il peut y avoir plusieurs surprises. Certains, on les voit déjà un peu, mais « de loin », et c’est une belle occasion de s’affirmer. Des joueurs comme Dylan Nahi, Yanis Lenne ou Benoit Kounkoud auront cette possibilité notamment. Ce que j’espère, c’est qu’il y aura plein de bonnes surprises, ça serait bon signe pour nous. On a un groupe qui peut prendre feu à tout moment.
Cela fait un moment que l’équipe de France n’a pas remporté l’Euro. Il y a la place ?
Être champions d’Europe, ça équivaut tout de même à être quasiment la meilleure équipe du monde car le handball reste une discipline majoritairement européenne. C’est notre objectif. On a amorcé quelque chose cet été aux Jeux olympiques et on a envie de surfer là-dessus, d’être réguliers et de revenir au meilleur niveau possible. Ça passe par une très grosse compétition sur ce mois de janvier. Maintenant, on n’est pas les seuls à penser ça. On verra la réalité du moment.
Si l’équipe de France a ramené le bronze en 2018, lors du dernier Euro, vous étiez sortis très tôt de la compétition après des défaites face au Portugal et la Norvège en poule, ça a clairement été un échec ?
On était clairement en reconstruction. Il suffit que tu sois un peu moins bien et ça ne pardonne pas. Ce qui fait le plus mal, c’est de quitter une compétition au bout de 3 ou 4 jours. Ça n’était pas arrivé depuis très longtemps à l’équipe de France. Perdre contre le Portugal ou la Norvège, c’est une chose, car ce sont de bonnes équipes, mais faire ses valises aussi tôt, c’était vraiment dur.
Alors que les Bleus ont des résultats très régulièrement, que les attentes sont toujours aussi élevées de la part du grand public et des spécialistes, ce qui frappe, quand tu abordes cette question, c’est que l’envie semble être toujours aussi vorace quand le moment d’en découdre approche…
Il y a deux choses importantes à prendre en compte. Les Jeux olympiques ont débloqué quelque chose, clairement. On a vu ce que ce groupe était capable de faire. Maintenant, on sait comment le faire. Il faut que l’on soit capable de le reproduire. C’est ce qui nous motive. Et puis l’équipe qui a tout gagné en équipe de France, elle n’existe quasiment plus. Tous les nouveaux joueurs qui arrivent ont la même envie, voire plus encore, de gagner. Cela rajoute à cette continuité. Après il y a quelque chose que l’on ne maîtrise pas, chez nous et chez nos adversaires, c’est évidemment le Covid, donc toutes les équipes risquent d’avoir des absents et il faudra faire avec.
Pour cette édition, il faudra être tout de suite être dedans au regard de la composition du groupe et de l’enchaînement des confrontations (Croatie, Ukraine et Serbie). C’est vraiment le groupe de la mort comme on dit ?
Il y en a d’autres très relevés mais là on a du choix ! Tu joues d’abord la Croatie que tu as empêchée d’aller aux Jeux olympiques. Au fond d’eux, ils n’ont probablement qu’une envie, c’est de se venger on va dire. Ensuite, l’Ukraine est peut-être la moins connue, mais il y a pas mal de bons joueurs qui disputent la Ligue des Champions, notamment à Zaporozhye, donc ça reste costaud. Et enfin il y a la Serbie que l’on n’a pas battue sur les deux dernières compétitions, et qui se renouvelle bien. Là, c’est à nous de prendre une petite revanche et de remettre l’église au milieu du village.
Après le titre olympique, vous avez une nouvelle fois une grosse pancarte dans le dos. Comme d’habitude, finalement ?
On est toujours une des équipes à abattre ces dernières années. Mais avec ce qui s’est passé cet été, c’est encore plus clair et net avant cet Euro ! Ce que j’aurais aimé, c’est que l’on ait pu avoir le groupe complet un peu plus longtemps ensemble pour que l’on puisse vraiment bien faire remonter le truc, cette mentalité des J.O., mais entre les repos, blessures, etc, ça n’a pas été possible. Néanmoins, ça va être intéressant de travailler comme cela.
Sur cette compétition, c’est l’Espagne, qui est double tenante du titre…
On connait les équipes qui peuvent aller au bout. L’Espagne travaille aussi à son renouvellement. Mais ce qui est certain, c’est que la vérité d’une compétition n’est pas celle de la suivante donc on verra comment tout le monde va se débrouiller.
En décembre, l’équipe de France féminine, pour sa reprise en compétition internationale, a ramené de l’argent du Mondial espagnol après ses J.O. victorieux. Cela vous met un peu de pression ?
Non pas du tout (rires). Vraiment, on n’est pas en concurrence, au contraire. Surtout, on est très content quand elles ont des résultats et on les a suivies de près. J’ai été heureux pour elles, même si, quand tu vois la finale et la qualité de cette première mi-temps, magnifique et costaude, et que derrière tu as l’impression que tu n’as pas vu la même équipe en seconde période, cela rend un peu amer. Mais il y avait du très lourd en face ! Ce qui est fantastique, c’est qu’elles montrent une régularité de résultats depuis des années qui est impressionnante. Tant mieux pour elles et pour le handball français.
Cela doit rendre un peu plus fier encore d’appartenir à cette fédération ?
Après cet été et le doublé, c’est encore plus une certitude. Je ne sais pas ce qu’elles pensaient avant les J.O., mais nous, on savait que l’on pouvait réaliser quelque chose, mais aller gagner, ça reste quand même une sacrée aventure. Alors réaliser un doublé… Vraiment c’est monstrueux. Personne n’aurait misé dessus. Pour la fédération, les pratiquants, le public, c’est fantastique de rayonner sur le handball mondial.
Justement, le public vous deviez le retrouver cette semaine pour vos deux matchs de préparation. D’abord à Bercy et au Phare, puis finalement à Créteil, puis finalement pas du tout puisque les deux rencontres face à l’Égypte sont annulées. Il doit y avoir beaucoup de frustration ?
La communion avec le public, on l’attendait vraiment. Se retrouver avec nos supporters, notamment à Bercy, cela fait un moment que ça n’est pas arrivé et c’est toujours une sacrée fête. Bercy, c’est une salle mythique, quand tu es joueur, c’est l’endroit où tu rêver de te retrouver.
Surtout, ce qui est certain, c’est que ces deux matchs de préparation qui sont annulés, c’est assez problématique pour nous en terme de préparation. Jouer les uns face aux autres, c’est bien mais on se connait tous par cœur. Ça n’a pas un énorme intérêt. Pour avoir une vision de là où l’on en est, c’est quand même mieux de se challenger face à d’autres équipes. On est dans une situation inédite et il va falloir s’adapter de nouveau.
Propos recueillis par Antoine Bréard