Depuis le succès en finale des jeunes garçons, te réveilles-tu chaque matin avec un large sourire ?
Cela m?a donné confiance. Je me suis senti mieux dans le combat à mener pour l?installation du pôle Provence-Alpes à Aix-en-Provence. J?ai trouvé un équilibre émotionnel avec la fierté d?avoir gagné ce titre.
Il a fallu soulever des montagnes pour que le pôle soit opérationnel dès la rentrée de septembre ?
Nous avons manifesté notre ressentiment et lorsque tu manifestes, on t?écoute plus? C?est dommage, mais c?est ainsi. Notre exigence portait sur ce qui est simplement dû aux jeunes provençaux de la filière. À ce titre, je suis reconnaissant envers la famille du hand, pour sa solidarité. Il faut souligner aussi le gros travail mené par Philippe BANA auprès de notre Ministère de tutelle. Aujourd?hui le recteur de l?Académie a fini par appliquer les consignes du Ministère. Les conditions ne sont pas tout à fait satisfaisantes mais les jeunes ont pu effectuer leur rentrée au Lycée Georges Duby à Luynes.
Champion du monde en 1995, tu as déjà vécu de grandes émotions. Comment as-tu vécu la victoire du 24 août dernier en finale face à la Hongrie ?
C?est une joie hallucinante que je n?avais jamais connue jusque-là. Les 2-3 heures qui ont suivi la finale ont été très intenses. J?étais submergé par l?émotion et je ne crois pas que c?était seulement lié à la victoire, mais aussi à un été difficile que je pensais s?achever.
Lorsque tu es joueur tu t?occupes uniquement de toi alors que l?entraîneur doit prendre en compte l?ensemble du groupe, composer avec les égos, les visions, de tout un chacun. Lorsque tu as orchestré toute une équipe, la joie est différente car tu sais aussi que l?entraîneur responsable du dossier doit rendre compte et à mes yeux il est plus souvent responsable de la défaite que de la victoire?
La Hongrie, aussi un adversaire qui vous avait mis la tête sous l?eau au premier tour?
J?ai la chance d?avoir été joueur et spectateur de quelques compétitions de handball. Ce qu?il s?est passé n?est pas si extraordinaire. Je me souviens par exemple que lors du Mondial 2003 au Portugal, la Croatie avait perdu face à l?Argentine avant de devenir championne du monde. Cette défaite (26-34) face aux Hongrois aura été un mal pour un bien. Je crois que lors de notre préparation nous avons remporté des matches trop facilement, face à la Roumanie et à la Serbie. Les joueurs, face à la Hongrie, ont eu du mal à intégrer le niveau de difficulté donné par un redoutable adversaire ; l?idée de louper la marche et la peur de mal faire associées à quelques approximations techniques dont je me sens responsable, en partie, nous ont fait mal jouer. Le staff a identifié les problèmes, on a essayé de remettre d?aplomb le plan de jeu et les garçons ont ensuite fait le travail pour progressivement croire en leur jeu et leurs réelles capacités.
Comment as-tu géré la préparation du match face à la Croatie décisif pour la qualification au tour principal ?
La journée de repos qui a précédé le match a été très difficile, vécue avec une certaine forme d?angoisse. Ces compétitions sont le meilleur contexte de travail et de progression pour ces jeunes et si nous n?avions pas été présents au 2e tour (places 1 à 8), c?était déjà un échec cuisant, compte tenu de leurs qualités non ordinaires, et le risque de ne pas se qualifier pour le prochain mondial se présentait douloureusement? cela aurait très négativement impacté l?avenir de ces jeunes de grande qualité. Dans ce cas je me serais retiré.
Avant l?Euro, tu avais déclaré dans HandMag (n°146) que « les formations qui émergent ont toujours un ou deux talents extraordinaires dans leurs rangs. » Est-ce le cas pour l?équipe de France ?
Notre projet de jeu est exigeant avec une sollicitation énergétique très importante, avec une idée d?un rythme élevé en permanence. Cela implique de compter sur un groupe de 12, 13, 14 joueurs complémentaires. C?était inenvisageable de disputer la compétition à 7 ou 8 joueurs. Je garantis que je ne fais pas de politiquement correct… L?épaisseur de notre groupe a permis de gagner, notamment en finale où les Hongrois ont fini par plonger physiquement dans les 10 dernières minutes.
D?accord mais quelques joueurs se sont fait remarquer?
Aymeric MINNE a été élu trois fois meilleur joueur. Il a passé un cap au cours de cette compétition nous avons pu compter sur sa complémentarité avec Lucas FERRANDIER. Au poste d?arrière droit, on a démarré avec Mélvyn RICHARDSON puis Dika MEM a effectué une rentrée remarquable. Et lorsque Mélvyn est revenu du banc, il a été très précieux. S?il peut parfois douter, Ludovic FABREGAS a été extraordinaire en défense. Il y a aussi Yanis LENNE qui est un ailier droit de qualité, très énergétique. Il revenait de multiples blessures et on a pensé qu?il ne pouvait pas démarrer. Son retour, au moment où l?équipe avait des doutes, a été époustouflant : c?est lui qui met le dernier but face à l?Allemagne. On ne le remerciera jamais assez. Sans démagogie, la complémentarité est exemplaire à tous les postes ! Je n?aurais jamais pu rêver que mes idéaux, peut-être utopistes, en terme de management de groupe puissent se réaliser à ce point.
Peux-tu nous décrire les fondamentaux du projet de jeu de l?équipe de France jeunes ?
Mettre du rythme, jouer avec simplicité, être provocant et créateur. Entre prise de risques et sécurité, c?est un équilibre très fin avec beaucoup de patience. Le talent individuel fait toujours la différence au final, mais il est plus efficace s?il repose sur une partition collective claire et appliquée. Sur la défense, l?équipe a fonctionné essentiellement selon le dispositif mis en place par Didier DINART. Être capable de défendre différemment, c?est une richesse culturelle au service d?adaptations utiles selon les contextes. Il n?y a pas de bon ou de mauvais dispositif, que des bonnes ou mauvaises manières de les appliquer. Voilà, petit à petit, les joueurs ont pris confiance et il ne faut donc pas exagérer sur la théorisation de notre pseudo méthode.
Tu les retrouveras fin octobre pour le tournoi international Pierre Tiby. Tes joueurs te manquent-ils ?
Ils me manquent mais ils m?ont tellement payé avec ce titre. J?ai le sentiment de leur devoir beaucoup. C?était si bon de les accompagner. Je me suis régalé à les voir jouer. Ce groupe vit bien et il n?a pas besoin de nous, le staff, en dehors des aspects techniques. Il n?y a donc pas plus de partage. On leur a juste tiré parfois les oreilles à propos des téléphones portables utilisés pendant les repas.
Didier DINART et Daouda KARABOUÉ sont venus renforcer le staff déjà composé de Mirko PERISIC et d?Emmanuel DOTT. Comment s?est passée leur intégration ?
Il y a toujours un risque à faire rentrer de nouveaux membres dans un staff mais c?était un élément d?apprentissage réel proposé par le DTN, Philippe BANA. Pour le poste de gardien, c?est à notre demande, c?est le poste le plus important et nous ne l?avons jamais accompagné des compétences que seul un spécialiste sait transmettre. Nous avions quelques noms en tête, dont Valérie NICOLAS et Daouda KARABOUÉ qui a répondu à notre appel à candidatures et qui était disponible. À peine sorti de son habit de joueur, il s?est adapté incroyablement à sa nouvelle fonction d?entraîneur. Il nous a subjugué : il est créatif, cool, sympa, exigeant. Un juste équilibre entre former et gagner. Le gardien n°1 était Julien MEYER et Daouda a réussi à ce que Florent BONNEAU soit un n°1 bis. Nous lui en sommes très reconnaissants.
Et Didier ?
Il intervient sur un champ technique différent : il est expert dans la façon de voir sa défense. Pour les jeunes, c?est un privilège absolu d?être accompagné par Didier qui a une aisance naturelle pour transmettre avec pédagogie. Ce staff restera comme le premier qui aura fait gagner le premier titre masculin, dans les jeunes catégories. Il aura fallu attendre tellement longtemps?
Il faut rendre hommage à tous les collègues qui nous ont précédés. Ils ont tout autant travaillé et ceux qui les ont critiqués n?ont pas idée du niveau de complexité et des éléments de conjoncture. Il faut donc rester humble. Cette génération de jeunes garçons est exceptionnelle. Je n?en ai jamais connu d?aussi forte et homogène. On a été récompensés mais en réalité c?est la qualité de ces joueurs et tout le handball français qui sont distingués.
Tu es un témoin privilégié pour apprécier cette victoire. Témoigne-t-elle de la richesse du handball français et de ses succès ?
Le sport a pris une place presque démesurée dans l?espace médiatique. Il y a un jeu entre les nations et à cet égard la place de la France est fondamentale. Cette équipe-là symbolise ce que j?aime dans mon pays avec le Breton, l?Antillais, l?Alsacien, le Parisien? Avec un état esprit fraternel et pour produire du beau jeu ensemble. Étant joueur je ne le percevais pas ainsi autant, mais représenter la France avec cette équipe me fait sacrément plaisir car cela donne une très belle image de la France et elle en a bien besoin.
Ce titre et l?éclairage qui va avec donnent-ils de l?ambition pour postuler à d?autres étages ?
Ce n?est pas le but du voyage qui compte mais le voyage. La mission qu?exerce Claude ONESTA est la plus extraordinaire, avec la plus haute exigence qui soit. Je ne suis pas candidat. Je fais actuellement ce que je préfère : transmettre à nos meilleurs jeunes. Nos valeurs du vivre ensemble, la diversité à tous les étages et ce que devient notre sport dans sa forme la plus spectaculaire avec nos équipes de France et de magnifiques championnats, me rendent heureux et fier de ce sport qu?est le handball.
Ton travail au quotidien et l?aventure avec cette équipe de jeunes t?invitent-ils à te retourner sur ton parcours ?
J?ai eu énormément de chance avec mes parents professeurs d?EPS, mon frère aussi, qui m?ont donné des valeurs par le sport, par le jeu, sans forcément que le perçoive alors. J?ai ensuite eu la chance d?être accompagné par Daniel COSTANTINI de croiser des passionnés comme Jean-Luc PAGÈS, et bien d?autres, et de jouer avec de supers joueurs. J?ai surtout eu la chance d?être très bien entouré.
Après l?aventure du Sandball, tu as endossé les habits de formateur en prenant la tête du Pôle de la Provence?
Le Sandball, on l?a développé avec quelques amis. C?était une façon de rendre au handball ce qu?il nous avait apporté. Ce fut beaucoup de travail et beaucoup de plaisir aussi. On m?a ensuite proposé de diriger le Pôle, de prendre la succession de Michel CICUT qui lui-même avait pris la suite de Daniel COSTANTINI. J?ai une formation de professeur d?EPS, je pense que l?on a dû imaginer que je pouvais être capable d?assumer la fonction.
Tu évoques Daniel COSTANTINI, t?a-t-il envoyé un message après l?Euro ? Et Claude Onesta aussi ? Quelles relations entretiens-tu avec ces deux personnages ?
Les messages étaient réceptionnés par Jean-Louis GUICHARD? Il y a eu beaucoup de messages pendant et après l?Euro. Daniel et Claude sont deux monuments que nous aimerions voir dans une vision synergique. J?apprécie beaucoup l?aspect « chef de meute jovial » de Claude.
Pour Daniel, j?ai une affection logiquement plus avérée. Daniel a été notre maître, notre prof, notre patron ; il mettait plus de distance, il travaillait de façon plus solitaire ; il restera mon père spirituel et mon maître quoi qu?il puisse se passer. Je lui suis reconnaissant de ce qu?il m?a donné et permis de vivre, de la confiance incroyable qu?il m?accordait. Avec lui, j?ai grandi en liberté, avec ses règles. Il n?accordait pas cela à d?autres et c?est pour ça que j?étais considéré un peu comme son chouchou.
Depuis l?Euro, je ne l?ai pas eu directement. Dès que j?ai besoin d?un coup de main, comme l?été dernier avec le Pôle, il répond toujours favorablement à mes appels. Il avait écrit en moins d?une heure au recteur de l?Académie. Si on l?appelle pour manifester, il saute dans le premier TGV.
Médaillé olympique et champion du monde, en novembre 1995 Éric QUINTIN a aussi agité la chronique avec un acte violent envers l?un de ses coéquipiers, dans un couloir, après un match. Comment as-tu transcendé cet acte ?
Ce sont des pensées qui me traversent régulièrement. C?est le gros regret de mon parcours. Le haut niveau génère les exigences les plus intenses, on est souvent à la limite, et il arrive parfois malheureusement que l?on fréquente le mauvais côté de celles-ci? Mais je ne peux ni ne souhaite me renier ; mon niveau d?exigence est parfois extrême, et j?ose simplement espérer progresser dans mes capacités de contrôle.
Ceci-dit, il est parfois un peu déroutant de voir l?intensité des retours de manivelles en regard des turpitudes du monde, et des leçons que la plupart ne savent s?appliquer à eux-mêmes. Ce sont à mes yeux des erreurs d?adolescents pas bien finis, un peu trop gâtés. Tu commets des erreurs, tu assumes, tu apprends? sachons juste mesure garder?
2015 marquera les 20 ans du 1e titre mondial? Et les 20 ans du Sandball. Au travers de ce double parcours, joueur et organisateur, quel regard portes-tu sur les structures du handball ?
J?ai perçu à travers le Sandball et le projet Mistral que j?ai essayé de mener en Provence combien la fonction de dirigeant est primordiale. Sans dirigeant, il n?y a rien derrière. C?est une boucle essentielle : dirigeant ? technicien ? joueur.
Je veux ici rendre hommage à Philippe BANA et à son talent pour créer du lien entre les dirigeants et les techniciens sur une telle période. C?est très complexe et ses résultats sont justes incroyables. Avant lui, il y a eu Alain MOUCHEL qui a su accorder sa confiance à de jeunes anciens pour le Sandball. L?exemple donné par Nodjialem MYARO est important et intéressant ; il me semble utile d?intégrer d?anciennes et anciens joueurs qui ont dû apprendre à vivre et gagner ensemble dans des niveaux d?intensité et de pression extrêmes, elles et ils peuvent humblement apporter un supplément de compétences.