Chacun se souvient de Laurent Munier, défenseur robuste, attaquant puissant et malin, droitier précieux à droite. Poutre de tous les édifices, il s’est reconverti sans bruit sur un terrain où il excelle à nouveau. A Chambéry, abri douillet, il est un manager général efficace, plutôt axé sur les tâches administratives. Chacun loue sa compétence, son investissement sans fard, sa capacité à se remettre en question, comme sa vision d’une discipline qu’il a toujours servie avec verve.
– » Laurent, expliquez-nous ce en quoi consiste votre travail à Chambéry ?
Je gère la partie organisation des matches pour tout ce qui touche au commercial, au marketing, à la communication. Je suis une sorte de lien entre les dirigeants, le personnel administratif et les sportifs. Je suis un pilote.
Depuis la saison passée, vous êtes également revenu sur le banc, au soutien de Mario Cavalli. Le terrain vous manquait-il à ce point ?
C’est un concours de circonstances. Le terrain m’a manqué au début, plus du tout par la suite. Quand Mario (Cavalli) a pris la suite de Boule (Philippe Gardent), il est venu me voir pour me demander de l’épauler. J’ai eu envie de m’atteler à cette tâche. L’an dernier, j’étais moins présent, simplement disponible au moment des matches. Cette année, je participe aussi aux entraînements, j’interviens sur les choix des joueurs, les schémas tactiques, toujours en relation avec Mario.
Comment devient-on manager général ?
C’est effectivement un métier. J’ai obtenu un Master, en 2009, au Centre de Droit et d’Economie du Sport à Limoges. Zouzou (François-Xavier Houlet), Bruno (Martini), Christian Omeyer, Benoît Henry, Guéric Kervadec, Kamel Rémili, Stéphane Plantin, d’autres peut-être, sont également issus de cette formation de manager des clubs sportifs professionnels. Auparavant, en 2002, j’avais obtenu une licence au Centre d’Etudes des Sportifs Nationaux et Internationaux (CESNI) en commercialisation de produits et services sportifs. Ces diplômes, en fait, structurent tes actions, mais t’offrent aussi un réseau énorme, un bagage que l’autodidacte met du temps à se procurer. J’ai rencontré de nombreux intervenants issus du monde du foot, de celui du rugby. Des gens proches des réalités de notre métier. Lorsque l’on échange avec Arsène Wenger, Michel Platini, lorsque les intervenants sont tous excessivement pointus, lorsque l’on visite des institutions comme l’UEFA, on comprend certaines choses assez vite…
Quand avez-vous su que cette orientation vous conviendrait ? Y a-t-il eu comme une appréhension alors que vous abordiez vos dernières saisons en tant que joueur ?
Non, pas d’appréhension. En fait, je n’ai même pas eu le temps de cogiter. Je jouais alors en Allemagne, en 1999, lorsque Boule m’a appelé pour terminer ma carrière de joueur à Chambéry. Il cherchait quelqu’un pour le décharger de pas mal de missions. On a créé ce poste de directeur sportif, manager général. A cause d’une rupture des ligaments croisés, j’ai arrêté ma carrière plus tôt que prévu, et je me suis lancé dans ce métier dans la foulée.
« UN ANCIEN JOUEUR EST HABITUE A REBONDIR »
Les anciens joueurs font-ils nécessairement de bons entraîneurs, de bons managers ?
Quand je regarde autour de moi, j’ai envie de répondre qu’il s’agit d’un atout supplémentaire. Lorsque je vois le grand Denis (Lathoud), Eric (Quintin), Boule, je me dis qu’ils sont quand même bigrement compétents… Christian Gaudin réussit bien lui aussi. Bruno Martini a su mener sa barque, pareil pour Christian Omeyer à Sélestat. Un ancien joueur est habitué aux échecs, aux victoires, habitué à rebondir. Et c’est notre quotidien, sur le terrain comme dans les bureaux de rebondir. Bien sûr, il y a des contre-exemples, des mecs qui réussissent sans avoir fait carrière. Mais dans ces métiers, il y a beaucoup d’humain, de relationnel, et l’ancien joueur sait apprécier certains détails. Certains veulent parfois comparer les méthodes de gestion du sport et de l’entreprise. Pourquoi pas, mais à condition, alors, d’adapter ta méthode à la réalité du terrain. En club, les objectifs sont revus tous les trois jours, c’est une donnée essentielle…
Pourriez-vous exercer votre fonction ailleurs qu’à Chambéry, ville à laquelle on vous sait attaché ?
Je suis attaché au club, à la ville, aux gens. Exercer ailleurs ? Pourquoi pas. Mais si Chambéry continue d’évoluer, il n’y a aucune raison de changer d’air. En fait, notre métier, dans le handball, n’en est encore qu’à ses balbutiements. Souvent, le marché est le suivant : tu finis ta carrière chez nous, et tu enchaînes ensuite avec un poste de manager… Dans les autres sports, c’est mieux structuré, chez nous, c’est un microcosme. Cela a tendance à s’ouvrir un peu, plus sur des postes liés au domaine sportif, alors que le mien est quand même plus administratif.
La convivialité peut-elle encore nourrir le monde professionnel ?
Nous, on s’y attache en tout cas. C’est même notre principal cheval de bataille. Vous savez, c’est de plus en plus dur d’aller chercher des partenaires. Aussi, si nos joueurs sont proches d’eux, proches du public, proche des gens, ils permettent un apriori favorable. On essaie donc de recruter dans ces filières de joueurs intelligents, ouverts, prêts à échanger, spontanés, conviviaux. Je vais vous donner un exemple : les mecs ont perdu samedi contre Tremblay-en-France, ils étaient tous au tournoi de mini-handball le lendemain matin à dix heures, pour encadrer les équipes, assister, tout simplement. Ils ne rechignent même pas. D’abord parce que c’est dans leur mentalité, puis ensuite parce qu’ils ont bien conscience de la fragilité de l’équilibre.
En quoi le handball a-t-il fondamentalement changé entre votre époque, celles des Barjots, et l’époque d’aujourd’hui ?
On est passé du sport-passion au sport-professionnel avec des enjeux financiers sans commune mesure. Les jeunes, aujourd’hui, veulent faire de cette passion un métier. Et je trouve ça très bien. Ils sont d’ailleurs prêts bien plus tôt que nous. A mon époque, l’éclosion arrivait aux alentours de vingt-cinq ans. Désormais, ils sont prêts à vingt, s’entraînent pour certains une fois par jour de la 6e à la 3e… En quoi a-t-il changé ? Les règles ont beaucoup évolué. Le sport est plus rapide, plus spectaculaire. Surtout, les encadrements sont plus professionnels. Il y a des préparateurs physiques, des kinés, des médecins…
« LES VALEURS EVOLUENT MAIS DEMEURENT LES MEMES »
Les Barjots pourraient-ils toujours exister dans le contexte actuel ?
Tout à fait. Ça ne m’aurait posé aucun problème de m’entraîner deux fois par jour au lieu des trois fois par semaine… J’aurais même aimé voir ce que ça aurait pu donner. Un Volle, un Lathoud, un Mahé auraient sans doute réussi des choses encore plus extraordinaires.
Et l’état d’esprit ?
Les valeurs évoluent, mais elles demeurent finalement les mêmes. Les joueurs sont sans doute un petit peu plus carriéristes, mais il faut les comprendre. Chez nous, en tout cas, l’humilité, la convivialité sont une règle incontournable. Et puis, il ne faut pas s’y tromper. Ils sont aussi tocards que nous.
Des Barjots modernes en quelque sorte… Tu fais sans doute moins la fête qu’avant… Encore que c’était aussi une légende aussi. Je n’ai pas bu une goutte d’alcool jusqu’à l’âge de vingt-six ans. J’ai célébré la médaille de bronze à Barcelone au diabolo-orangina. Cette image, on se l’est aussi façonnée par obligation. Les Suédois, les Allemands ne nous prenaient pas en considération. C’était une manière d’exister.
Donnez-nous votre podium des Barjots. 1. Munier ?
Non, 1. Denis Lathoud ; 2. Boule ; 3. Quintin. Hors concours, il y avait Mémé (Philippe Médard), plus Barjot que Barjot. Mais c’était d’abord et surtout le meilleur gardien au monde.
Le village olympique de Barcelone reste-t-il leur plus fameux terrain d’expression ?
Incontestablement. Chaque fois que l’on se revoit, on parle de Barcelone. Parce que les Jeux, c’était d’abord un rêve de gamins que l’on n’avait jamais imaginé matérialiser avec une médaille. Tout est parti de 1990, il y a eu l’Islande, mais Barcelone reste comme le jardin des Barjots…
Gardez-vous des contacts avec certains de vos anciens coéquipiers ? Etes-vous allé dans le nouvel établissement de Stéphane Stoecklin en Thaïlande ?
Non, je suis allé en Thaïlande il y a deux ans, avant qu’il n’ouvre son hôtel. Charly (Frédéric Volle), j’ai un peu de mal à l’avoir. On se parle de temps à autres par Skype. Mais avec tous les autres, on ne se perd jamais vraiment de vue. Eric (Quintin) est le parrain d’une de mes filles, Denis (Lathoud) d’une autre, Stoeck (Stoecklin) du fils de Boule, Mulot (Thierry Perreux) de sa fille…
« RESTER PROCHE DE SON MILIEU »
Quelles pistes le handball doit-il explorer afin de stabiliser ses positions économiques ?
On doit être capable de se doter d’infrastructures susceptibles d’accueillir les nouvelles populations. Je pense aux VIP, aux partenaires, aux spectateurs que l’on doit mettre dans les meilleures conditions, autrement dit dans des palais des sports modernes et adaptés. L’autre impératif est de décrocher des contrats avec les télévisions. On a vu, dans les autres sports, combien cette étape était primordiale. Il faut aussi que les clubs soient parfaitement structurés à chacun des niveaux. Beaucoup mettent le paquet sur les joueurs, le recrutement, mais les compétences administratives, au niveau des commerciaux, de la billetterie, de la presse, la communication sont fondamentales. Mais on doit surtout savoir rester nous-mêmes, être proches de notre milieu, c’est-à-dire des clubs alentour. A Chambéry, vingt-quatre nous suivent régulièrement.
Le modèle chambérien est-il un modèle à suivre ?
Je pense que oui, en toute humilité. Pas mal de clubs m’appellent d’ailleurs, pour m’interroger sur des domaines précis. On a toujours été un petit peu en avance à Chambéry. Nous sommes passés en société en 2002 alors que nous n’y étions pas obligés, nous venons de créer un fonds de dotation afin de mener des actions dans les milieux défavorisés, nous avons aussi signé un partenariat pour former des apprentis de la région aux métiers du sport. Il faut sans cesse se renouveler car il est difficile de boucler un budget, dès le mois d’avril comme l’exige la CNACG, avec trois-quarts de partenariat privé et un quart issu des collectivités.
Qu’avez-vous appris de vos différentes aventures, à Villeurbanne, Villefranche-sur-Saône, Vénissieux, l’OM, Gummersbach, Solingen et évidemment Chambéry ?
A Villeurbanne, j’ai appris à jouer au handball. A Vénissieux, avec Sead (Hasanefendic), je me suis ouvert au haut niveau. A Villefranche, j’ai développé l’identité caladoise. Vénissieux, c’était le projet qui devait installer le handball lyonnais sur les cimes. L’OM, c’est l’époque des titres, des frères Tapie. L’Allemagne m’a permis de découvrir le handball spectacle et Chambéry tout le «back office». Je puise, finalement, dans toutes ces expériences, pour mener ma barque aujourd’hui.
Lorsque vous voyez les difficultés rencontrées par la Liga espagnole et les principaux championnats européens, vous dites-vous que le handball français a eu raison de surveiller son évolution ?
Tout à fait. Le handball français profite non seulement de sa gestion sage, pointue, de sa patience, mais aussi de la qualité de sa formation qui a toujours permis un renouvellement performant de ses élites.
Vos enfants jouent-ils au handball ?
Non. J’ai trois filles, et je les ai plutôt poussées vers la danse.
Le handball n’est-il pas une discipline d’avenir ?
Si, bien au contraire. A condition que tous les clubs, la Ligue, la Fédération travaillent ensemble à son développement. Le niveau du championnat est de plus en plus relevé, les grandes salles vont offrir une bouffée d’oxygène. Il ne faut surtout pas se brûler les ailes, continuer à travailler dans un climat sain, installer des personnes compétentes aux postes les plus exposés. Il est révolu le temps où les profs de gym, les profs d’histoire pouvaient faire l’affaire. Il faut des dirigeants formés comme le sont les dirigeants d’entreprise. Le handball est un sport qui regroupe aujourd’hui différents métiers. Et chaque métier requiert des compétences particulières.