« Luka, parlez-nous de ce jour exact où vous avez décidé d?abandonner le tennis pour vous consacrer au handball?
Le jour exact, je ne m’en souviens pas avec précision. Cela devait être en début de semaine, un lundi matin où je n’avais pas envie de retourner m’entrainer. J’avais perdu la flamme, je ne m’amusais plus vraiment sur le court. Et sans passion, sans étincelle, tu ne peux pas faire grand chose de bon. Retourner au handball, à mes premiers amours, ça me trottait dans la tête depuis quelques temps. Parce que c’est sur ce terrain de jeu-là que j’ai découvert le sport, que je me suis épanoui petit. Le tennis, ça n’a pas vraiment été un choix naturel. Personne ne m’a obligé à le pratiquer. Un jour, j’ai simplement voulu essayer, comme n’importe quel gamin, et puis l’entraîneur a décelé des capacités, une chose en entraînant une autre? Je me suis très vite retrouvé au pôle France. Y renoncer, ça a été l’addition de plusieurs choses. Le fait que ce soit un sport individuel, sans doute, mais surtout, je ressentais un manque. Celui de jouer au handball.
– On imagine que vos parents avaient consenti de nombreux efforts pour vous permettre d?avancer jusqu?à -4/6. Aviez-vous peur de leur réaction quand il a fallu leur annoncer votre décision ?
Pour mes parents, ce qu’ils faisaient pour Nikola et moi, ce n’était pas des efforts dans le sens où cela se faisait naturellement. Ils auraient fait des kilomètres pour nous accompagner à un entraînement, un tournoi et ça aurait été le cas même si j’avais fait de la pétanque (rires) ! Cela n’a jamais été une contrainte. Ils ont toujours été derrière nous. Au sujet de l’annonce de ma décision, ma mère m’a soutenu lorsqu’il a fallu la prendre. Quand j’ai dit « j’arrête » après dix ans de tennis. Et mon père, quand il a vu que je m’éclatais sur le terrain de handball?
« SECRÈTEMENT, JE VOULAIS PROUVER QUE JE NE M’ÉTAIS PAS TROMPÉ »
– Les médias ont souvent relayé l?image d?un père très présent auprès de votre frère, Nikola, indissociable de sa réussite. Quel rôle a-t-il tenu dans votre carrière de tennisman ?
C’était un handballeur, certes, mais avant tout un sportif de haut niveau. Même si j’avais choisi un autre sport que le sien à l’époque, il comprenait beaucoup de choses, l’aspect psychologique, l’investissement? Il a toujours insisté sur ça avec mon frère et moi, parfois il était dur mais c’était toujours pour notre bien.
– Lorsque vous avez bifurqué, on imagine que vous étiez animé du désir de montrer que votre décision était sensée. Le montrer à vos parents. À votre frère aussi?
Secrètement, je voulais prouver que je ne m’étais pas trompé. Mais je n’ai jamais dit que je voulais intégrer l’équipe de France. Au départ, il y avait simplement cette joie de m’amuser, de prendre du plaisir. Même si au fond de moi, je savais que j’avais une chance si je me donnais à 100%.
– On a dû vous poser la question 100 fois? Est-ce plus compliqué encore lorsque l?on est le frère de Nikola Karabatic ?
Cela dépend de la façon dont on aborde les choses. Si tu écoutes ce qui se dit, ça peut être un poids. Je ne l’ai jamais vécu comme ça. Mais comme un avantage. J’ai beaucoup appris de lui, de mon père. J’ai toujours fait en sorte que ce soit un atout. J’ai eu et j’ai la chance de les avoir.
– On vous sait très proche, Nikola et toi. En quoi, cependant, êtes-vous différents ?
Sur des petits traits de caractère? Mais sur peu de choses je pense. On est des battants, qui n’aiment pas perdre. On a cette même soif d’avancer, de progresser, de tout donner. Lui est peut-être plus démonstratif et moi plus réservé en public.
« J’AIME LA FRANCE MAIS LA SERBIE ET LA CROATIE FONT AUSSI PARTIE DE MES RACINES »
– Longtemps, évoluer côte à côte semblait un objectif partagé. Il semble que chacun, aujourd?hui, a trouvé sa voie à Barcelone et Aix-en-Provence?
Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas été séparés, mais je suis dans un club où j’ai des responsabilités, il y a de la pression, ça m’a aidé à grandir. Sa venue à Aix et le challenge qu’on y a partagé a été constructif. J’ai gagné en maturité. La distance amplifie le plaisir de se retrouver sous le même maillot en équipe de France. Cela me donne encore plus de motivation pour travailler et le rejoindre chez les Bleus.
– Vous avez vu le jour à Strasbourg, vous êtes donc le seul Karabatic à ne pas être né sur le territoire de l?ancienne Yougoslavie. Quel rapport entretenez-vous avec la terre de vos parents ?
De très bons rapports. J’ai toujours de la famille là-bas. En Serbie du côté de maman et en Croatie du côté de papa. Même si je ne suis pas né en ex-Yougoslavie, je parle la langue. C’était important pour moi de pouvoir communiquer avec la famille. Je me sens à 100% français, ma culture est française mais c’est une partie de mes racines.
– Avec les Mahé, Dinart, l?équipe de France a souvent misé sur les compétences d?un défenseur spécifique. Vous sentez-vous dans la peau du successeur ?
Etant donné la proportion de mon temps de jeu en défense? Peut-être un peu ! Mais j’ai comme objectif d’être un joueur complet. Je bosse pour être titulaire aussi en attaque. Je ne me mets pas de barrière dans ma tête, je prends ce qu’il y a à prendre sans oublier toutes les perspectives. Je vais aller au bout de moi-même. Même si je ne cache pas que j’aime jouer en défense, c’est un rapport différent avec l’adversaire et c’est là où j’ai le plus de responsabilités aujourd’hui.
– Didier Dinart, dont la fille est d?ailleurs la filleule de votre frère, mise beaucoup sur vos qualités. Vous aide-t-il à progresser ?
Didier joue le rôle de grand frère, c’est un très grand ami de Niko, il venait me voir au tennis quand je jouais encore. Le fait qu’il soit là, c’est une chance pour moi. Il a envie de transmettre son savoir. De partager son immense expérience. Je suis en demande, je n’hésite pas et lui non plus, il répond à toutes mes questions.
« JE REFUSE DE VIVRE EN ME DISANT « ET SI ? »
– Avez-vous la sensation, parfois, d?avoir perdu du temps ? Que si vous aviez commencé par le handball, votre niveau serait aujourd?hui bien plus élevé ?
On ne le sera jamais ! Je refuse de vivre en me disant « et si ». Je me dis que c’est mon parcours qui est comme ça, mon chemin a été tracé ainsi. D’avoir eu cette parenthèse m’a peut-être apporté des choses que je n’aurai pas assimilé si je n’avais pas joué au tennis. Je n’ai aucun regret.
– Longtemps, vous éludiez la question lorsque l?on évoquait avec vous vos ambitions. Vous répondiez alors : « continuer à apprendre, à travailler pour progresser »? Mais lorsque l?on met un pied en équipe de France et que se profilent les Jeux Olympiques à Rio en 2016 comme le Mondial 2017 en France, c’est désormais un objectif envisageable ?
Ce n’est pas encore demain, mais ça se rapproche oui. Maintenant, j’ai bien conscience que ça n’est pas parce que je suis à l’Euro aujourd’hui que tout est acquis. Bien au contraire. Les Jeux, ce serait? Un rêve. Et oui, je compte bien tout mettre en oeuvre pour essayer d’en faire une réalité.
– Pour finir, qu?aimeriez-vous que l?on dise à votre propos ? Que vous êtes un ancien tennisman qui a réussi sa reconversion dans le handball ? Ou que vous êtes un handballeur qui a longtemps été l?un des grands espoirs du tennis français ?
La deuxième version.
– Pourquoi ?
Parce que la phrase commence par « je suis un handballeur » !