Dans exactement 49 semaines, s’ouvriront les Jeux de Paris 2024 et l’entrée en lice des équipes de France championnes olympiques en titre. Avec les 50 nuances de Jeux, nous désirons vous faire revivre, chaque semaine, les épopées de l’équipe de France au travers de huit olympiades, de Barcelone 92 avec la première médaille décrochée par les Bronzés de Daniel Costantini, jusqu’à Tokyo où les deux collectifs se sont parés d’or. Des histoires singulières, des anecdotes, des portraits, des coups d’arrêts aussi où pendant trois éditions (1996, 2000 et 2004), le handball français rongeait son frein pour mieux briller à Pékin et à Tokyo, en passant par Londres et Rio. Deuxième épisode avec « À une demi-phalange près ».

Londres 2012 – FEMMES

À une demi-phalange près

La nuit est tombée depuis longtemps sur Stratford lorsque Dragan Adžić réclame un temps-mort. Il reste vingt-six secondes à jouer. La faute de Milena Knezevic sur Allison Pineau a permis à Alexandra Lacrabère d’égaliser sur un jet à sept mètres (22-22). Il échafaude sa stratégie. Elle n’est pas bien compliquée à deviner. Katarina Bulatovic, ou plus vraisemblablement Bojana Popovic vont s’emparer du ballon et tenter de tromper la vigilance d’Amandine Leynaud. C’est écrit. Imparable. Par Philippe Pailhoriès

Les Françaises défendent avec un système étagé. Allison Pineau et Raphaëlle Tervel tentent de perturber les transmissions monténégrines. Dans neuf secondes, l’une des deux équipes aura son billet pour les demi-finales, ou alors se disputeront cet honneur au cours d’une prolongation. Bulatovic cherche Popovic. Raphaëlle Tervel a tout vu. Tout compris. Son bras gauche effleure le ballon et modifie le sens de sa course. Il rebondit un mètre devant elle. Elle se jette au sol pour s’en emparer. Avec son bras gauche, elle tente d’empêcher Popovic de se mêler à la lutte. Le bras droit s’occupe du ballon.

Combat de déesses. Instant solennel. Les deux joueuses s’apprécient. Se respectent. « Elle est alors la meilleure joueuse au monde, résume Raphaëlle Tervel, avec une rage de vaincre peu commune, des habiletés très fines. Tout lui réussissait dans ce tournoi. Défendre sur elle, comme sur Cristina Neagu ou Lioudmila Postnova était un véritable cauchemar. »

Allison Pineau et Siraba Dembele sont déjà parties en contre-attaque, sûres de bénéficier d’une ultime munition. Mais le ballon échappe de la main droite de Raphaëlle Tervel et glisse sur sa main gauche. « Il m’a manqué une demi-phalange, soupire-t-elle, encore affectée, plus de dix ans après. Je me souviens seulement de cette main qui va au ballon. Après, je ne vois plus rien. Je ne pensais même pas l’avoir touché à terre. Je revois juste Bojana qui l’a. Pas moi. »

Bojana Popovic ne se fait effectivement pas prier pour le dérober. Elle est à genou, à la limite du marché, elle tente de se relever tout en jetant un œil pour apprécier la situation. Mariama Signate n’a pas la lucidité pour l’empêcher de distiller une passe décisive à Majda Mehmedovic, d’un plongeon désespéré.

Le chronomètre marque 59’58 lorsque l’ailière hérite du présent. Camille Ayglon se précipite pour tenter de la bâillonner. Elle ne sait freiner son élan. La déséquilibre à l’instant du tir, repoussé par Amandine Leynaud. Jet à sept mètres. Une seconde à jouer. Touchée à la cuisse gauche, soutenue par Gérard Juin et Annick Le Naour, Camille Ayglon regagne le banc. Katarina Bulatovic se charge de la sentence.

Pour la quatrième fois d’affilée, l’équipe de France échoue dans sa course à la médaille. Nous sommes le 7 août. La nuit est encore plus noire dans les faubourgs de Londres. Il nous revient l’image de ce duel majestueux. Celle de Raphaëlle Tervel, agenouillée, dépitée, les deux bras tendus vers le ciel.