Après trente années d’une incroyable fidélité, Patrice Canayer, l’entraîneur le plus titré en France, quittera le Montpellier HB à l’issue de la saison. En marge du Trophée des Continents remporté la semaine passée par les Bleus à la Sud de France Arena, il a pris beaucoup de plaisir à échanger avec ses collègues réunis autour de séminaires sur un métier qu’il défend becs et ongles.

Entre le Trophée des Continents et les deux demi-finales de Coupe de France, l’Occitanie était à l’honneur ces dernières semaines. Le handball est-il un sport phare de cette région ?

L’Occitanie est d’abord et surtout une terre de sport. La première ou deuxième région de France en termes de clubs, de licenciés, d’organisations. Beaucoup de moyens sont mis dans le sport, son développement au travers, oui, de l’organisation d’événements, mais pas que. C’est aussi une recherche de reconnaissance car l’Occitanie est une région neuve qui a besoin de capter l’attention. Pour en revenir au handball, il est un sport historiquement fort, que l’on se contente d’apprécier le nombre de titres glanés par l’USAM et le MHB notamment, ou si l’on considère les clubs qui évoluent dans l’élite, et notamment les trois de Liqui Moly Starligue. On peut simplement regretter l’absence de clubs féminins de haut niveau. 

Tu es élu au sein de cette région, en charge, notamment, de l’attractivité et du rayonnement du territoire. En quoi consistent tes missions ?

Ce sont des missions assez nouvelles que m’a confiées la présidente. La délégation s’appelle : direction de l’attractivité, du rayonnement et des marques régionales. Ces missions sont transversales et touchent au tourisme, la culture, le sport… La question est : comment fédérer six millions de personnes autour d’un projet régional ? C’est passionnant. Il s’agit de développer l’attractivité, qui se mesure en terme économique, mais aussi la perception. 

Il ne t’a sans doute pas échappé que tu dirigeras ta dernière rencontre en France face à Toulouse…

C’est un pur hasard. On m’a également fait remarquer que la finale de la coupe de France à Bercy aurait pu opposer ces deux équipes, mais ça ne s’est pas passé comme ça…

En marge du Trophée des Continents, le MHB, en collaboration avec l’IFFE et 7Master a organisé un séminaire à l’attention des entraîneurs du handball professionnel. Quels étaient les objectifs ?

Ce travail me tenait vraiment à coeur parce qu’il s’agissait d’une collaboration pour mener des projets communs. Le mal dont souffre à mon avis le handball français, peut-être, d’ailleurs, la limite de son développement, est que chacun travaille toujours un peu dans son coin. Travaille bien, mais souvent seul. Objectivement, même si l’on devine dans les discours une volonté de collaboration, elle n’est que de façade. On est tous de la même famille, la formule n’est pas galvaudée du tout, mais chaque membre de cette famille travaille quand même de manière très orientée dans son couloir, et on a du mal à mener des projets majeurs en symbiose. Notre sport fonctionne bien, mais il reste un plafond de verre qu’on n’arrive pas à percer. Avec l’IFFE et 7Master, de manière modeste, nous avons montré que nous pouvions non seulement travailler ensemble, mais être efficace ensemble. Nous avons proposé un séminaire de très grande qualité et s’il peut être prémisse à des stratégies futures, j’en serais le plus heureux. 

A l’occasion d’une conférence de presse, vous avez beaucoup insisté, avec Thierry Anti, sur l’importance du métier d’entraîneur…

Dans ce métier, il y a un rôle technique, mais aussi la nécessité de s’investir dans la conduite du handball français. On a essayé avec Thierry de faire passer ce message que les entraîneurs doivent assumer leur part de responsabilité au-delà du travail de terrain.

Ce métier a beaucoup évolué en trente ans ?

Il a complètement changé. La première raison, c’est que les entraîneurs de ma génération ont fait partie de ceux qui ont connu l’arrivée du professionnalisme. Paradoxalement, même si ça a été une longue marche, nous avons avancé très vite, et c’est très lié à l’histoire de notre sport. Est-ce un bien ? Un mal ? Je laisse aux autres le soin de répondre. La seconde tient à la place qui est la tienne dans le dispositif. On pense, avec Thierry et quelques autres, que l’entraîneur doit avoir un rôle majeur dans ce dispositif. C’est ce message que nous avons voulu véhiculer. Thierry travaille beaucoup pour maintenir une certaine unité dans notre profession. Je l’ai retrouvée durant ces trois jours de séminaire, alors qu’il me semblait que ces dernières années avaient généré un effritement. J’espère maintenant que ce séminaire ne sera pas un one shot, mais un rendez-vous ancré.

Un entraîneur peut-il encore, aujourd’hui, rester trente années fidèle à un même club ?

La réalité, c’est que ce sont souvent les présidents qui sont infidèles plutôt que le contraire. Mais non, cette durée est fatalement amenée à diminuer. Mais elle ne me semble pas un critère majeur. Ce qui compte, c’est la trace que laisse l’entraîneur. 

Il ne te reste plus désormais, au mieux, que quatorze matches à diriger à la tête du MHB. As-tu commencé le compte à rebours ?

Objectivement, ça ne me travaille pas plus que ça. Si, mercredi dernier, je me suis dit que c’était peut-être mon dernier match de Coupe de France à l’Aréna. Mais ce n’est pas un problème pour moi. Et puis, même si j’ai dit que j’arrêtais mon contrat avec Montpellier, je n’ai jamais dit que je ne réentraînerais pas… Mon esprit est simplement tourné vers cette fin de saison et tous les projets que je vais mener ensuite. Je profite de chaque match, chaque entraînement, je goûte les plaisirs ou les colères comme mercredi dernier sans aucune nostalgie.

Tu as assisté aux deux rencontres de l’équipe de France à l’Aréna face à l’Argentine et l’Égypte. Que t’inspire cette équipe ?

Je n’aime pas beaucoup les matches amicaux, ce qui me plaît, c’est la compétition, plus peut-être que le handball lui-même d’ailleurs. C’était bien pour le public deux mois après le titre de champion d’Europe. Nous avons des équipes de France extrêmement talentueuses. Elles possèdent beaucoup de qualité, de gros moyens, et ce qui fait qu’une équipe devient captivante, c’est l’histoire qu’elle raconte. Les athlètes ont cette responsabilité, dans les attitudes, les résultats bien sûr, d’écrire cette histoire. C’est tout un travail collectif à mener. Pas seulement avec les joueurs, mais avec tous les acteurs qui les accompagnent. 

Treize des vingt-quatre joueurs qui s’étaient réunis à la Maison du handball en amont du Trophée ont joué, ont été formés pour certains, à Montpellier. Qu’est-ce que ça t’inspire ?

De la fierté et de la satisfaction. J’ai eu le plaisir d’entraîner des joueurs de très haut niveau, et exercer ce métier avec une telle matière première est vraiment réjouissant. J’en ai accompagné d’autres sur le chemin de la performance, et c’est tout aussi réjouissant de faire grandir des collaborateurs, pas seulement les joueurs d’ailleurs. Je suis très content de voir Érick (Mathé) au côté de Guillaume (Gille), ou David (Degouy) prendre la direction de l’USAM.

Les quatre gardiens ont débuté leur carrière professionnelle à Montpellier…

Nous avons beaucoup travaillé avec Branko (Karabatic) et nous nous sommes appuyés sur son expertise pour les développer. On n’a pas toutes les compétences et il faut aller les chercher là où elles se trouvent. La méthode de Branko m’a inspiré. On a essayé de poursuivre dans cette voie. Mais ce qui me paraît le plus intéressant avec les gardiens, c’est la méthodologie d’accompagnement. On a discuté avec Guillaume (Gille). Il y avait par exemple l’an passé tout un débat autour de Charles (Bolzinger). Fallait-il le laisser partir s’aguerrir dans un club où il aurait plus de temps de jeu ? Ou le confronter au haut niveau en le laissant combattre l’adversité ? Ces gardiens se sont tous confrontés à des oppositions, ils se sont tous battus, et ça a développé chez eux des qualités de compétiteur qui font aujourd’hui la différence.

A Montpellier, tu as été le premier à exercer les fonctions de manager général. Aurais-tu pu rester autant de temps seulement comme entraîneur ?

Mon mémoire au Creps de Bordeaux, j’avais 22 ans, portait sur l’organisation des clubs en France. Déjà, je parlais du rôle de l’entraîneur pas seulement comme un homme de terrain, mais un acteur avec une vision plus large. Quand Montpellier, et c’était tout sauf une évidence, m’a offert cette opportunité, je n’ai pas hésité. Pendant toutes ces années, j’ai essayé de montrer qu’un entraîneur peut être efficace, mais qu’il peut aussi conduire les destinées du club en travaillant dans les stratégies. À condition, bien sûr, qu’il ne soit pas la personne ressource en tout, mais qu’il donne de la cohérence et du sens aux actions de tout le monde.

Comment suivras-tu les Jeux olympiques ?

Je n’en ai encore aucune idée. Je n’ai pas pris de places. Philippe Bana m’a proposé de m’inviter. J’accepterai avec plaisir.

Les deux équipes de France peuvent-elles conserver leur titre ?

Potentiellement, elles en sont capables, oui. Nous avons deux très belles équipes, très bien encadrées, et l’expérience de la FFHandball dans la gestion de ce type d’événements est un avantage. La partie sportive est bien réglée. Mais ce n’est pas ma préoccupation majeure en vérité. La vraie question est : comment allons-nous rebondir après les Jeux olympiques. On sait qu’en temps normal, on a un afflux de licenciés de l’ordre de 10% après les JO. Il sera peut-être le double avec des JO en France. Serons-nous prêts ? Quelle image proposerons-nous ? L’exploitation de ces Jeux olympiques est pour moi un sujet majeur.