Président de la Ligue des Hauts de France depuis 2017, ancien joueur, à l’AS Menora à Strasbourg d’abord, puis à Lomme et à Noyant-la-Gravoyère, Jean-Pierre Lepointe a surtout entraîné, à Lomme, Noyant, Dunkerque ou Gravelines, au Bataillon de Joinville et bien sûr au côté de Daniel Costantini entre 1985 et 1996. Passionné et intègre, secret, il milite aujourd’hui pour transmettre les valeurs qui lui ont été inoculées.

En quoi consistait votre intervention du vendredi 20 janvier dernier auprès du personnel fédéral à la Maison du Handball ?
Elle était consécutive à une demande de la direction de la FFHandball. En fait, la dernière fois que nous avions discuté avec Michel (Barbot), mon frère, qui me manque terriblement, nous avions évoqué cette idée que notre histoire n’était peut-être pas suffisamment connue ni relatée.

Il s’agissait donc simplement de raconter cette histoire ?
Il s’agissait d’expliquer à ceux qui arrivent aujourd’hui à la Maison du handball pourquoi ils sont là, donner un autre sens à leur mission et leur engagement. Cette histoire est une très belle histoire, démarrée en 1941 avec la création de la Fédération finalement mise à l’index par l’ordonnance d’Alger, puis la déclaration officielle de 1952…

N’aviez-vous pas un peu peur d’être rébarbatif, voire de passer pour un vieux c… ?
Plus que de passer pour un vieux con comme vous dites, il y avait celle de dévoiler mes sentiments. Je n’ai pas fait de morale. Juste rappeler qu’avant la Maison du handball il y a eu la Glacière, creuset de réflexions où l’on passait des heures à discuter de handball, les premières sections sports-études, le Bataillon de Joinville… Rappeler le plaisir qui était alors celui de tous les serviteurs de la Fédération. J’ai dû citer Confucius qui a dit : « choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie ». C’était bien sûr une branchade, mais c’était un moyen de dire que pour pouvoir être brillant, efficace, pour bien remplir sa mission, il faut que le travail ait du sens, et que c’est tout l’engagement de la FFHandball que de donner du sens pour être heureux au quotidien. Vieux con ? J’ai un grand avantage : ma carrière, je l’ai faite sans marcher sur le dos de personne. Je suis très fier d’apparaître sur la fresque de la Maison du handball, mais je n’ai rien demandé à personne.

Vous êtes heureux au quotidien ?
Le handball, c’est ma vie. Je suis un inconditionnel.

Ce n’est pas la vie des jeunes qui arrivent aujourd’hui ?
Si, et nous pourrons bien sûr en reparler plus tard. Vendredi, je voulais juste rappeler que comme le disait Churchill, un peuple qui oublie son passé n’a pas d’avenir. Dire : c’est vous qui allez maintenant imprégner cette Maison du handball de votre investissement personnel, votre passion, vos convictions. C’est vous qui allez donner du sens aux murs, avec vos sueurs, vos âmes. On a besoin de vous, comme l’on a eu besoin des autres, besoin de vous autour de cette mission aux enjeux terribles, celle de réussir les J.O. 2024.

Quel message souhaitiez-vous particulièrement partager ?
Il y en avait deux : l’éducation est la seule arme qui peut faire changer le monde ; et le rêve fait avancer les gens. L’idée n’est pas tant de se souvenir des événements heureux ou malheureux, mais de savoir comment, pourquoi et pour qui ils ont été produits. J’ai essayé de traverser l’histoire pendant une heure vingt à peu près, au travers des gens, des événements.

Comment vous étiez-vous préparé ? N’aviez-vous pas peur de passer à côté de votre cible ?
Je n’avais pas peur, non. Dès le matin, j’étais exactement comme dans le monde de la compétition, comme quand je manageais.

Vous aviez bien préparé votre intervention ?
Je n’ai rien préparé du tout, c’est juste ma vie. J’ai partagé mes connaissances, évoqué les hommes et les femmes, les moments. Si j’écris quelque chose, ça me bloque. J’aurais pu faire, oui, un truc pyramidal, partir de la soule, du Danemark, de la Tchécoslovaquie et l’Allemagne, remonter tout ça, mais ce n’est pas comme ça que je fonctionne.

Avez-vous senti une vraie curiosité de la part de votre auditoire ?
Il y avait une cinquantaine de personnes, j’en ai croisé certaines bien après l’intervention, on a échangé, partagé des souvenirs.

Vous avez évoqué les grands succès du handball français ?
Mais le but des Activités Physiques et Sportives n’est pas de gagner des médailles, mais de continuer à faire briller les yeux des enfants avec ce but essentiel d’empathie humaine. L’ADN de la FFHandball est ce rassemblement d’hommes et de femmes qui vivent et progressent ensemble, dans la victoire comme dans la défaite, et se forgent une identité qu’il appartient à chacun d’entretenir. Identité de jeu, au sens littéral du terme, de joie, de plaisir.

Certains moments vous ont néanmoins marqué plus que d’autres…
J’ai de l’admiration pour les huit années au lycée de Challans, de 1981 à 1989, avec 240 entraîneurs, des cadres techniques, une véritable usine à gaz, une folie, avec un travail passionnel et technique sur le jeu. J’ai de l’admiration pour l’équipe de France féminine de 1999, et l’équipe de France masculine de 1989 à 1996, qui ont posé les fondamentaux du handball d’aujourd’hui. Et je peux en citer d’autres encore.

On dit que les liens intergénérationnels facilitent la cohésion sociale. Qu’ils permettent la transmission des valeurs et des savoirs, mais sont aussi un facteur de mieux-vieillir pour les aînés et favorisent la stimulation intellectuelle…
Sans doute. Mais c’était d’abord un vrai plaisir. 

Peut-on vous demander votre âge et votre parcours ?
A un certain âge, il n’est plus d’usage de poser la question. Mais bon, j’aurai 76 ans dans deux mois. Mon parcours ? Je suis sorti de la cour d’école, j’ai joué en club, entraîné, été CTR, dirigeant, aujourd’hui président de Ligue.

La vision de la hiérarchie a-t-elle beaucoup évolué ?
Oui, complètement. La hiérarchie ne veut plus s’appeler hiérarchie. C’est ta grandeur naturelle qui incite ou encourage. On ne parle pas de chefs mais de donneurs de voies, de missions, dans l’intérêt général. Si tu deviens entraîneur pour toi-même, tu es en grand péril. Tu dois entraîner pour les autres, pour guider vers l’autonomie qui ne se décrète pas mais s’accorde au fur et à mesure. Une fois encore, tu fais tout ça pour donner du sens.

Le besoin de reconnaissance est-il plus fort qu’avant ?
Certains sont carriéristes mais je ne pense pas qu’il y en ait plus qu’avant. Ils sont plus virulents peut-être. Ils attendent qu’on leur donne des pistes pour s’éclater. Mais moi, j’ai confiance en cette génération. A 25 ans, je trouve les jeunes plus gentils qu’on ne l’était. Ils sont bien sûr abreuvés de conneries sur les réseaux sociaux, l’école leur offre moins de moyens et l’éducation est en baisse, mais ils ont une formidable ouverture d’esprit. 

A votre âge, qu’est-ce qui vous motive encore ?
Je travaille autant aujourd’hui que lorsque j’avais 30 ans. Je suis amoureux de ce que mes maîtres m’ont appris. Des hommes. Des âmes plutôt. Je suis une grande gueule, tout le monde le sait, je ne me livre pas beaucoup. Mais si tu veux obliger les gens à faire certaines choses, il faut qu’ils se rappellent la famille.

Cette famille que vous avez incarnée…
Si tu veux faire avancer les choses, il faut entraîner. Entraîner, ce n’est pas seulement contraindre quelqu’un à faire quelque chose. C’est le tirer vers le haut, transmettre pour réussir. Ce qui me motive, c’est le plaisir d’agir. C’est le sens du sport-co. La mission d’éducation est double. Tu as plaisir à offrir et plaisir aussi dans la réussite. Moi, en tout cas, je suis fier lorsque les gens avec lesquels je travaille réussissent et s’épanouissent.

Quels sont ces fameuses âmes qui vous donnent cette force encore aujourd’hui ?
Des gens m’ont formé, poussé, flingué de temps en temps. Je ne peux pas établir de sélection. Je me souviens d’un maître d’apprentissage, un instituteur exceptionnel. Dans le handball, j’ai admiré le LUC, les gens de Billy-Montigny m’ont frappé de leur joie de vivre. Si je dois en citer quelques-uns, je n’oublierai pas Jean Nita, et Jean-Michel Germain qui m’a poussé dans les pattes de Daniel Costantini. Il y a d’autres grands mecs comme Serge Aranda, Rudy Bertsch, Michel Paolini. Maurice Mandin évidemment. Et bien sûr la gouaille, l’intelligence brillante de Nelson Paillou, l’amour de Jean-Pierre Lacoux et André Amiel, la belle et longue traversée de Joël Delplanque. Je les ai tous regardés vivre, regardés faire.

Propos recueillis par Philippe Pailhoriès