Il fréquente l’équipe de France depuis plus de six ans, mais n’a pas toujours eu l’opportunité de s’afficher. A vingt-six ans, l’ailier montpelliérain semble au sommet de son art, parfaitement capable, aujourd’hui, de gérer ses émotions et de peser tout au long de la compétition.
Il a vécu cent vies, de Colmar à Katowice, à Barcelone, dans les pas de Victor Tomas, à Aix-en-Provence, couvé par Jérôme Fernandez, à Montpellier, bien sûr, son abri depuis quatre saisons, et parmi les membres de cette équipe de France qui le courtise depuis l’automne 2016 (35 sélections). Yanis Lenne n’a pourtant que vingt-six ans marqués de frissons et de cicatrices, mais déjà une maturité et de solides acquis, des habiletés de plus en plus fines, l’ambition de s’installer enfin et de les exhiber sans fin.
Longtemps tapi à l’ombre de Luc Abalo, il figurait parmi les vingt et un joueurs retenus pour la préparation au Mondial 2017 qu’il avait finalement suivie en qualité de remplaçant, puis pour celle à l’Euro 2018, dont il avait également été écarté. Contrairement à Romain Lagarde, Ludovic Fabregas, Melvyn Richardson ou Dika Mem, ses acolytes médaillés d’or lors du championnat du monde U19 en 2015, il n’est pas devenu champion olympique à Tokyo, et ce Mondial de Pologne est donc une autre occasion de prendre une part après la frustrante quatrième place à l’Euro de Budapest l’an passé. D’autant que le forfait de dernière minute de Benoît Kounkoud, victime d’une rupture partielle de l’aponévrose du pied gauche, lui promet une autre exposition au côté de son capitaine à Montpellier, Valentin Porte. « J’en suis bien sûr conscient, confesse-t-il, c’est une opportunité que je compte saisir, sans me prendre la tête. »

Chacun, depuis le temps, sait le potentiel, le talent de celui qui a longtemps évolué sur le poste d’arrière avant de se spécialiser à l’aile. « C’est d’abord un joueur intelligent, réagit Jérôme Fernandez, très rapide, très endurant, très travailleur, avec une gamme de shoots variée et une grande qualité dans le débordement. Il peut aussi être utile en défense, en 1 ou en 2, parce qu’il est à la fois solide et mobile. »
Un joueur fiable. Un joueur sûr. Capable de prendre sa chance avec très peu d’angle, parce que c’est son tempérament, parce qu’il est aujourd’hui parfaitement stable. « Plus les années passent, sourit-il, plus j’emmagasine de l’expérience, surtout dans la gestion des émotions. J’ai d’ailleurs commencé à me concentrer il y a un an et demi sur la préparation mentale afin de mieux appréhender les situations auxquelles je pouvais être confronté sur le terrain. Comment se comporter dans les temps faibles ? Les temps forts ? J’ai travaillé avec Régis Bardera, qui m’a énormément apporté, puis je collabore désormais avec quelqu’un que j’avais déjà côtoyé lorsque j’évoluais à Sélestat. Je me sens beaucoup plus posé, apaisé. J’avais beaucoup de mal à accepter l’idée que je pouvais moi aussi être bon, du mal à le dire. Alors que ça aide pourtant… »

Longtemps, il s’est employé à peaufiner sa technique d’ailier qu’il jugeait fragile, la lisser, la retoucher. Les résultats sont spectaculaires, d’autant qu’il a fini par s’accommoder d’une épaule trop souvent récalcitrante. « J’avais du retard, dit-il, parce que j’ai beaucoup joué arrière et que je privilégiais d’autres sensibilités, la vision du jeu, le fait de ressortir sur le poste d’arrière, la défense en 2… J’ai mis tout ça de côté, j’ai insisté sur le shoot, et je dois maintenant revenir à ce dont j’étais capable auparavant : peser hors décalage, à la finition, élargir encore la palette, progresser sur le jeu de contre-attaque. Rémi (Desbonnet) m’aide bien à Montpellier dans ce domaine, parce qu’il aime relancer à droite… »
Se projeter beaucoup plus vite, voilà, oui, l’une des choses que Guillaume Gille attend de lui en Pologne en plus de ses traditionnels points forts. « Je me répète, souligne l’ancien capitaine de l’équipe de France, mais Yanis est un joueur intelligent qui a toujours su s’adapter. Sur les six mois que nous avons passé ensemble à Aix, ça été un vrai bonheur de l’entraîner. Il est d’humeur toujours égale, il a envie de progresser, son état d’esprit est irréprochable. Il a gommé les quelques défauts qui pouvaient le frustrer, il est moins impatient, et je suis suis certain qu’il va réaliser un grand Mondial. »
Si le jeu avec les pivots a été privilégié face aux Pays-Bas et l’Égypte, il sait bien que comme c’est très souvent le cas à Montpellier, il pourra être porté vers l’extérieur au gré des circonstances et des rencontres. Et lorsque les balles arrivent vite dans son coin à lui, Yanis Lenne peut alors devenir parfaitement démoniaque et irrévérencieux pour chaque gardien appelé à croiser sa route.
Philippe Pailhoriès
