Dans le staff de l’équipe de France qui défie l’Islande à deux reprises cette semaine, il est celui qui veille sur Amandine Leynaud et Cléopâtre Darleux, les chouchoute et les dorlote. Les aide à progresser aussi… Ancien de Thonon puis Saint-Martin d’Hères, Frédéric Pérez a écumé les fleurons de la Capitale, la Stella Saint-Maur, Créteil puis Gagny, avant d’atterrir à Toulouse, aux côtés de Jean Weber et Alain Raynal « deux très grands Monsieurs ». Professeur d’éducation physique et sportive, féru de formation, il est surtout le grand complice d’Alain Portes et Philippe Carrara aux côtés desquels il démarre «une aventure exaltante. »

-«Frédéric, puisque vous allez vous envoler pour l’Islande, profitons-en pour évoquer le temps d’avant, la Tchécoslovaquie, Barcelone…
Ah, les bons souvenirs… On ne vieillit pas très bien si l’on vit dans le passé, mais j’ai des flashes, des images, des plaisirs partagés qui me reviennent instantanément. Récemment, j’ai fait un peu de rangement chez moi, et je suis tombé sur quelques revues fédérales. J’ai regardé les couvertures, j’ai feuilleté, et certaines photos, certains articles m’ont replongé dans ce passé-là. Ce furent de grandes aventures humaines et l’Islande, c’est vrai, a souvent croisé la route de l’équipe de France dans les grands moments…

Vous avez mis un terme à votre carrière en 1994 et n’avez donc pas participé à l’épopée 1995, toujours en Islande…
Avec Jean-Luc (Thiébaut), sans doute aussi avec Alain (Portes), nous avions l’impression d’avoir fait le tour de la question. Nous avions en tout cas ce point commun de vouloir arrêter lorsque nous désirerions arrêter, sans y être contraint. On s’était mis à la disposition de Daniel (Costantini), mais il y avait l’émergence de jeunes talents, Christian Gaudin, Bruno Martini, Yohann Delattre et ce choix de changer de génération s’est d’ailleurs très vite révélé payant… Je n’éprouve aucune frustration d’avoir loupé cette aventure. La frustration est un sentiment que j’ai banni depuis longtemps. J’avais fait ce choix, fin 1994, un choix familial, professionnel, et je pense que c’est un luxe d’être à la fois acteur et décideur.

Vous êtes le prototype du handballeur des années 1980, professeur d’éducation physique et sportive, passé de la Stella à Gagny, les fleurons de l’époque, puis reconverti au métier d’entraîneur, à Toulouse, votre port d’attache désormais…
C’est bien résumé, oui… J’ai trouvé un équilibre, une stabilité dans cette voie-là. Je suis d’un naturel responsable, mais tout de même un peu anxieux, et je n’aurais rien sacrifié à ma carrière professionnelle. À Toulouse, lorsque nous sommes montés en première division, un émissaire d’Oviedo, un autre de Leon sont venus me rencontrer. Partir en Espagne ? Mais pour y faire quoi de plus qu’en France ? … L’idée, à cette époque-là, n’était pas de sacrifier ses équilibres, mais plutôt d’assurer un équilibre social, voire même psychologique. J’ai la chance d’avoir pu embrasser le monde amateur du handball, avec tout ce que cela implique, et connu aussi les prémices du professionnalisme avec cette opération commando dirigée par Daniel (Costantini) à l’aube des années 88/89, ou même l’arrivée de Jean-Claude Tapie à l’US Créteil. Ces deux épisodes-là ont d’ailleurs décomplexé tous les handballeurs qui se sont mis à bosser comme des dingues. Sincèrement, avec le recul, je pense que je me suis entraîné à l’époque comme l’on s’entraîne aujourd’hui, avec la même rigueur, le même acharnement. Bien sûr, je me souviens aussi que lorsque je jouais à Thonon et que j’étais à l’UEREPS à Grenoble, je faisais deux cent bornes avec ma Diane pour aller à l’entraînement… C’était quand même une autre époque…

« J’AI EU LA CHANCE DE CROISER DE GRANDS HOMMES »

Pouvez-vous évoquer votre parcours depuis la fin de votre carrière ? Vous avez notamment succédé à Claude Onesta, lorsque celui-ci a pris les rênes de l’équipe de France, non ?
J’ai surtout eu la chance de croiser de grands hommes. J’ai donc quitté Jean-Michel Germain, un très grand monsieur, pour Jean Weber que je connaissais au travers des compétitions scolaires. Il m’a assuré que je pouvais m’installer à Toulouse comme professeur d’éducation physique et sportive. La garde rapprochée était alors constituée de Claude Onesta, d’Alain Raynal, qui est devenu un ami, et donc de Jean Weber. J’ai arrêté de jouer à la fin 1997. Je me suis « désintoxiqué » en ne m’entraînant que deux fois par semaine, et j’ai même replongé, une paire de matches, quand Bruno Martini avait été suspendu. En fait, j’ai repris mon rôle d’enseignant. J’ai aussi passé un brevet d’état 2e degré. J’ai pris beaucoup de plaisir à entraîner des équipes de jeunes. Avec Alain Raynal, on a effectivement fait une pige pour remplacer Claude Onesta en 2001. Ensuite, j’ai assisté Vincent Griveau au Pôle. En clair, je suis enseignant la journée et entraîneur au Pôle le reste du temps. Je suis dans un rôle d’éducateur, de formateur de jeunes. J’ai également effectué des piges estivales, à la demande de Guy Petitgirard, pour des championnats du monde juniors. À certains moments, j’aurais pu embrasser la carrière fédérale. Mais de la même manière que je ne saurais n’être que enseignant, je ne saurais être que handballeur…

Comment avez-vous atterri dans ce staff de l’équipe de France féminine ? On imagine que votre complicité avec Alain Portes a été prépondérante…
Ce qui est incroyable, c’est que les circonstances de la vie ne modifient jamais les équilibres affectifs. Alain (Portes) et Philippe (Carrara) sont deux personnes extrêmement généreuses, à tous les sens du terme. Avec Alain, on a ferraillé dès l’âge de dix-sept, dix-huit ans dans les sélections. J’ai aussi ferraillé contre lui, le pur nîmois, et, en 1983, on était dans la même chambre au Bataillon de Joinville. Philippe, c’est le frangin que je n’ai pas. Un ami de trente ans. Je suis témoin de son mariage. Ce que j’apprécie chez eux, c’est qu’en dépit de caractères différents, on partage les mêmes valeurs. Ce sont des hommes intègres, droits, honnêtes, compétents. On partage la même éthique. On n’a pas besoin de tuer père et mère pour réussir. Nous sommes déterminés, perfectionnistes, même si je me suis assoupli, car j’aime que les gens soient aussi exigeants que moi, et on se retrouve là à vivre une aventure humaine et sportive exaltante.

Vous intéressiez-vous au monde féminin auparavant ?
Ce serait mentir que de dire que j’étais un spécialiste. Il y a bien un Pôle féminin à Raymond-Naves, mais je n’avais pas de vue précise.

Ce monde-la est-il, d’ailleurs, si différent du monde masculin ? Peut-être la part d’affect est-elle plus importante avec les filles ?
Tout à fait. La part d’affect est très importante. Si l’on parle des gardiennes, Amandine (Leynaud) et Cléopâtre (Darleux) sont sans arrêt en demande de conseils. C’est très important de leur montrer que si elles savent ce qu’elles veulent, je peux intervenir sur du sur-mesure, sur mon expérience, sur quelques conseils. En termes de terminologie, de confiance, les deux mondes sont différents. Il faut être ferme, rigoureux, comme avec les hommes, mais aussi apaisant, rassurant. Pour ce qui est de l’approche de la compétition, on s’aperçoit que la partie psychologique intervient plus franchement que chez les garçons. Les mecs sont plus stables émotionnellement, il y a moins de fluctuations dans leurs performances. Mais j’ai été surpris, interpellé, par rapport au côté professionnel, responsable des filles. Ce qui m’a plu, c’est que les petites jeunes qui nous ont rejoint sont aussi déterminées, rigoureuses que les anciennes. C’est un collectif toujours en demande d’informations, de précisions. Au niveau de la vidéo par exemple, elles sont toutes venues avec une clé USB, un petit carnet… Elles se font leur montage… Elles s’approprient la pratique. Elles sont très pros.

Parlez-nous de votre rôle. Les équipes de France n’ont jamais réellement bénéficié d’un entraîneur spécifique pour les gardiens de but…
Les fonctions sont clairement définies au sein du staff mais, ce qu’il faut savoir, c’est que l’on partage avec Alain le goût pour les discussions. On participe ainsi tous les trois à l’élaboration des entraînements, Alain délègue beaucoup. Notre avis est consultatif. Ensuite, j’ai un rôle essentiellement lié aux gardiennes. Il est important de les aider à se construire.

« ON A DES GÉNÉRATIONS ABSOLUMENT PAS FORMATÉES MAIS EXCESSIVEMENT PERFORMANTES »

Justement, existe-t-il, à votre avis, une école française des gardiens de but, comme il existe les écoles scandinaves, yougoslaves ?
Non. Ce qui fait la richesse, et d’ailleurs l’incohérence de notre système, c’est qu’on a eu des générations absolument pas formatées, mais excessivement performantes. Il n’existe pas d’école, mais pas de style non plus. La construction d’un gardien dépend de tellement de critères… Le style de Rémi Desbonnet, par exemple, est très différent de celui de Cyril Dumoulin. Avec sa petite taille, Rémi ne réussira qu’en étant dynamique, rapide, piégeur… Cyril est plus classique. Le souci en France, c’est que le poste est souvent confié à des joueurs étrangers, au détriment des jeunes issus de notre formation. Or, rien ne remplace le temps de jeu. Wesley Pardin, par exemple, parvient à éclore parce qu’il joue à Toulouse… Maintenant, qui, parmi les jeunes gardiens, peut prétendre prendre la succession de Thierry Omeyer ou Cyril Dumoulin ? Je n’ai pas de réponse ferme…

Les gardiens de votre époque, les Médart, Thiébaut ou même Boullé auraient-ils pu tenir un rôle dans le handball d’aujourd’hui ou, comme pour leurs homologues de champ, auraient-ils souffert de la dimension physique ?
Vous citez-là de grands gardiens de but. Il y en a d’autres aussi… C’était une autre époque, mais ils avaient tous un talent incroyable et je pense qu’ils pourraient jouer aujourd’hui s’ils partageaient les mêmes conditions d’entraînement. Quand j’ai commencé, il y avait autour de moi des joueurs de très haut niveau, mais les circonstances ont fait qu’ils n’ont pas pu s’exprimer comme on a su le faire avec les Barjots. Sur le plan de la perception, de la technique, on a toujours eu de grands joueurs en équipe de France. L’athlétisation est fondamentale, mais rien ne remplace l’intelligence de jeu…

Que vous inspirent les performances de joueurs comme Thierry Omeyer, Arpad Sterbik, Niklas Landin ?
Ce qui me surprend, d’abord, c’est la longévité de ces personnages-là. J’ai toujours été fasciné par les qualités de ces compétiteurs, ces capacités à réitérer des performances. On ne peut qu’être admiratif de ce que fait Omeyer. Blessé, il revient dix jours avant le championnat d’Europe, il est excessivement performant, c’est la capacité d’un champion hors normes. Thierry est un guerrier, un tueur, comme l’était Philippe Médard. Avec eux, il n’y a pas la place pour deux. L’autre, à côté, n’existe pas…

Chez les filles, une Valérie Nicolas s’étaient hissée parmi les meilleures spécialistes au monde… Comment estimez-vous le niveau d’Amandine Leynaud ou Cléopâtre Darleux ?
Amandine et Cléopâtre sont deux gardiennes de très haut niveau. Au Mondial, Amandine a évolué à un niveau exceptionnel et elle fait partie, selon moi, des trois ou quatre meilleures au monde. Elle doit recouvrer tous ses moyens physiques afin de progresser encore, mais elle est très bien revenue. Cléopâtre a des qualités différentes. Amandine est performante en lecture de trajectoires, elle est toujours bien placée. Cléopâtre, elle, est beaucoup plus explosive, dynamique. Elles sont très complémentaires, très au point techniquement. Gardien, c’est un poste où l’on a des certitudes et un potentiel à mon avis supérieur à celui des garçons.

Assistez-vous à des rencontres de championnat, peut-être pour suivre les prestations de filles comme Armelle Attingré, Gervaise Pierson, Laura Glauser ou même Julie Foggea qui signe une belle saison à Mios Biganos-Bègles ?
Nous suivons tout le monde, nous sommes en contacts avec certaines, avec leurs entraîneurs. J’ai bien aimé Gervaise Pierson, elle est déterminée. Laura Glauser a été blessée mais elle a une volonté de fer. Armelle Attingré, c’est une lionne en cage. Les deux titulaires doivent sentir qu’on les pousse derrière, ça les gardera en éveil.

Êtes-vous également en contact avec Eric Baradat, le responsable de la filière féminine ? Peut-être y a t-il de jeunes gardiennes prometteuses ? On pense notamment à la Nîmoise Laurie Carretero qui tient déjà un rôle en D1 à dix-huit ans…
Alain et Philippe parcourent tous les clubs, j’ai un peu moins d’occasions de le faire. Philippe est parti avec les jeunes en Hongrie par exemple. Tous deux sont en contact avec Eric. On est très au courant de ce qui se passe, et on a un ?il averti sur ce qui se projette dans les clubs. La préoccupation d’Alain, l’une de ses anxiétés d’ailleurs, et de trouver le bon équilibre dans les calendriers afin de concrétiser nos projets.

« LA DIVERSITÉ, C’EST L’HISTOIRE ET LA RICHESSE DU SPORT FRANCAIS »

Avec trois mois de recul, comment analysez-vous le Mondial en Serbie ? On garde comme un goût d’amertume…
On est arrivé à mettre quelques projets de jeu en place. Mais on n’a pas eu le temps de consolider le projet d’attaque. Il y a des grands motifs de satisfaction, en terme d’investissement, de vie de groupe. Mais on s’est aperçu que les lacunes d’ordre technique par exemple perduraient. Tout est allé à l’envers le jour du quart de finale. La frustration vient du fait que l’on n’ait pas su mettre tous les ingrédients ce jour-là. Mais on va avancer…

Quand vous vous êtes retrouvés au premier rassemblement de l’équipe de France, avec Alain Portes et Philippe Carrara, lorsque vous avez entendu la première Marseillaise, avez-vous été gagné, peut-être, par une forme de nostalgie ?
Derrière une carapace, je suis quelqu’un d’assez sensible. Le premier moment, contre la Slovaquie, a été génial. Il y avait cette hommage à Madame Saurina qui venait de nous quitter, et ces filles resserrées, l’hymne, oui j’ai eu des frissons. En même temps, il y avait une espèce de sérénité. Mais je sais qu’Alain a été profondément chamboulé ce jour-là…

Vous êtes né à Oran, Nina Kanto à Yaoundé, Mariama Signaté à Dakar, Armelle Attingré à Kadjokro… La diversité est-elle un des atouts de cette équipe de France ?
Mais c’est toute l’histoire du sport français et sa richesse. Ça donne un jeu atypique qui fonctionne. Ce qui est génial, c’est que les origines, les couleurs, les cultures sont différentes, mais il y a un enthousiasme communicatif. Il n’y a pas de clan, pas de sectarisme. Il y a un groupe qui se plaît ensemble.

On va conclure avec cette double confrontation. La qualification à l’Euro semble ne pas devoir vous échapper, d’autant que l’Islande se présente très diminuée pour cette double confrontation…
Justement. L’erreur serait de s’occuper de l’Islande et pas suffisamment de nous. On a fait deux bons matches contre la Slovaquie et la Finlande. Il va y avoir une mobilisation contre l’Islande. Si on n’est pas sérieux dès le départ, on risque de souffrir… On n’a pas les garanties sur le plan de notre jeu pour passer au-delà de l’investissement nécessaire.

Saviez-vous qui entraînait l’Islande avant Agust Johannsson ?
Non…

Julius Jonasson, l’ancien joueur de Paris. Peut-être aurez-vous la chance de le croiser à Reykjavik…
Je me souviens de lui, oui. Ça été un des très bons étrangers du championnat de France. Un joueur très professionnel… Ce serait marrant de le revoir…