Vice-président de la FFHandball en charge de la marque handball, Bertrand Gille livre son regard d’expert sur la performance des équipes de France à Tokyo. Il évoque aussi son nouveau rôle de dirigeant et des projets à mener.

Comment as-tu suivi et vécu ces Jeux olympiques, en dirigeant, en supporter, en ancien international… ?
Je portais systématiquement ces trois casquettes à la fois. En fonction de ce que je ressentais, une casquette était parfois plus lourde. Il y a eu aussi tous ces moments où tu te laisses emporter par tes émotions comme un simple supporter super fan de son sport. Quand cette émotion passe, tu remets la casquette d’élu et tu te dis que le cadeau que nous ont fait nos équipes de France, est d’une valeur inestimable dans le contexte actuel. Nous avons eu énormément de chance de voir ces deux équipes évoluer à ce niveau-là et réaliser un doublé pour lequel je n’ai même pas de mots pour le décrire.

Comparé aux titres olympiques de 2008 et 2012 où l’équipe de France était favorite, peut-on considérer que celui de 2020 est le plus surprenant ?
Cela nécessite un changement de perspective pour comparer. J’ai vécu les deux premiers en portant le maillot bleu et en étant totalement focalisé sur la tâche que j’avais à faire. Je n’ai pas le souvenir de m’être présenté aux J.O. avec un costume de favori, ni en 2008, ni en 2012. J’avais conscience que nos équipes avaient des arguments à faire valoir mais la vérité d’une compétition ne s’écrit pas à l’avance. Même si les chemins ont été différents, nous avons été en capacité de monter en puissance, à avancer, et à nous autoriser à penser que nous étions sur les bons rails, jusqu’à la délivrance. Je n’avais pas l’impression que cette année l’équipe de France était favorite, pour autant elle avait démontré lors du dernier Mondial en Égypte et lors du TQO, sa capacité à être solide, solidaire et parfois brillante. Les ingrédients étaient là. C’est toujours la magie de l’événement d’arriver à faire que toutes les forces en présence se magnifient et donnent ce résultat. Donc, en réalité, ce n’est pas si surprenant. En revanche, cette équipe avait un peu perdu le fil, ce qui ne fut pas le cas en 2008 et en 2012. Le collectif a été capable de se remobiliser avec une énergie et une détermination folle.

Vois-tu des similitudes entre les deux équipes de France, féminine et masculine. Ne sont-elles pas jumelles dans leur façon de jouer, dans la construction des deux groupes ?
Oui, quelque part, je pense que l’on pourrait dire cela en effet. Au travers du potentiel physique, des qualités individuelles, le fait aussi que des joueuses fassent partie des meilleures à leur poste au niveau mondial, je dirais presque que cet exploit est plus vraisemblable chez les filles que chez les garçons. Maintenant entre un potentiel et la révélation d’une efficacité au plus haut niveau, il y a deux poids, deux mesures. Parfois elles ont peut-être senti le vent du boulet mais dès qu’elles ont été dos au mur, elles se sont mises en ordre de marche, avec générosité, solidarité et engagement, avec une qualité dans les savoir-faire tout à fait remarquable.

En tant que spécialiste du poste de pivot, quel regard portes-tu, sur les deux pivots de l’équipe de France féminine ?
Pauletta Foppa, dans quelques années, si elle continue à afficher la même détermination, deviendra injouable. Elle marche déjà sur tout le monde. J’ai rarement vu cela. Elle me fait penser à Heidi Locke en son temps qui était hyper performante. Pauletta est beaucoup plus costaud et elle évolue avec la même intelligence de jeu, de placement, d’alternance de jeu de combat, d’appels. Franchement, à seulement 20 ans, elle est impressionnante. Béatrice Edwige est surtout cantonnée à un rôle défensif. Ceux qui sont chargés des tâches défensives ne sont pas le plus dans la lumière mais alors quel boulot elle abat ! Et plus la tension a grimpé dans le tournoi olympique, plus elle a élevé son niveau de compétence. Sur les quatre derniers matches, c’est un sans-faute. Vraiment, chapeau à elle.

Et sur les garçons ?
On a trois profils qui sont différents mais ils ont en commun un volume d’action physique remarquable. Du premier au dernier match, Luka Karabatic a fait une compétition monumentale en défense. Il a eu un rendement défensif incroyable. Si on pouvait mesurer, avec plus de précision et des chiffres parlant, ce serait monstrueux. J’ai l’impression qu’il n’a pas perdu un duel. Lorsqu’il a été sanctionné, c’est parce qu’il était venu aider quelqu’un qui s’était fait battre à côté de lui. Ludovic Fabregas a été la tour de contrôle de l’équipe : il conjugue toutes les qualités en défense et en attaque, il est sûrement le meilleur pivot au monde avec une capacité à enchaîner les sollicitations de façon remarquable. Avec Luka Karabatic, le bloc central était véritablement injouable. Par le passé, Nicolas Tournat avait pu pécher en défense dans le secteur central. Même s’il n’était pas le joueur prioritaire sur l’un des deux postes 3, il a été beaucoup plus intégré dans les relations. Et quand il est rentré, il a pu être efficace et être un vrai relai de performance, même défensif. En attaque, Nicolas Tournat est vraisemblablement le meilleur pivot d’attaque au monde. Chez les filles et les garçons, les pivots ont été les pierres angulaires de la réussite de nos équipes.

Et-tu admiratif de la performance de tes ex-coéquipiers, le trio Abalo-Guigou-Karabatic ?
Bien sûr que je suis admiratif mais comment ne pas l’être face à ces trois monuments du handball mondial ? Plus encore que leur performance, j’ai aimé qu’ils acceptent l’évolution de leur rôle, avec une facilité déconcertante. Bravo qu’ils aient été capables, comme chacun d’entre eux, de s’intégrer à ce projet collectif sans véritablement, si j’ose dire, questionner le système. J’ai trouvé cela vraiment énorme.
Nikola Karabatic a eu un rôle un peu différent mais cette compétition était pour lui un combat débuté bien en amont. Son objectif était de revenir en forme, de pouvoir être présent. C’était déjà une vraie réussite qu’il ait retrouvé ce niveau d’efficacité. J’ai trouvé qu’il avait été un relai important. Il a prouvé toutes ses compétences de leadership d’action. Niko n’a jamais été un grand bavard en revanche il a toujours beaucoup fait. Il a été à nouveau capable d’endosser ce rôle-là et il n’a cessé de se bonifier au cours de la compétition. Chapeau bas.

Après la 14e place de l’Euro 2020 et près d’un an sans jouer, les Bleus s’inclinent en Serbie. Huit mois plus tard, ils sont champions olympiques. Quel regard portes-tu sur cette réussite de ton frère aîné Guillaume, en te détachant, si possible, du rapport affectif ?
Pour rigoler, je dirais qu’il a eu beaucoup de chance. Sérieusement, le travail effectué a été remarquable. Ce travail n’a pas été fait seul : Guillaume vivrait assez mal d’être seul mis en exergue car justement son rôle a été celui d’un créateur de liens, d’ajout de compétences, d’harmonisation des égos. Il a trouvé la formule adéquate avec les joueurs et je suis forcément extrêmement fier, en tant qu’handballeur et fan de mon sport, et en tant qu’élu. J’ai adoré l’image que nous ont renvoyé nos équipes de France. Être son frère a forcément décuplé mes émotions.

Vice-président de la FFHandball en charge de la marque handball, en quoi ces résultats peuvent-ils contribuer au développement ?
J’ai envie d’être optimiste et de me dire que nous allons enfin sortir de cette crise sanitaire, que les gens ne seront plus soumis à des contraintes. Je suis aussi dirigeant de club et les chiffres enregistrés me permettent d’être optimistes. On fait notamment le plein sur toutes les jeunes catégories. Il faut imaginer le travail colossal effectué sur l’intégralité des clubs, des comités et des ligues du territoire pour permettre un accueil des jeunes pratiquants et que ceux qui ont découvert le handball cet été au travers des Jeux olympiques aient envie de venir nous voir. On retrouve dans les clubs tout ce que l’on a vu sur le terrain cet été : du plaisir, de la solidarité, de la pugnacité, aussi une mosaïque de la diversité de notre société, des symboles qui me sont chers. Le handball est une grande famille d’accueil. Le travail associatif ne se remplace pas : il n’existe nulle part ailleurs. On prend en charge les enfants. On leur donne des règles de vie, on les fait collaborer, on leur permet de s’épanouir dans un cadre différent du cocon familial. Toutes ces raisons font du sport associatif, une base même de notre société. Je suis optimiste que le fait que la FFHandball, et l’ensemble des fédérations sportives, vont retrouver leur niveau de licences d’avant la crise.

Quel est l’impact des deux titres olympiques sur le partenariat de l’olympiade et comment te sens-tu dans cette position d’élu fédéral ?
Les tendances sont positives avec des Jeux olympiques pendant lesquels on a eu une image extrêmement positive. Bien sûr il y a aussi la perspective des Jeux de 2024. Certains disent que Lille, ce n’est pas Paris. Et bien justement faisons de cette contrainte du premier jour, une opportunité de demain. Lille sera entièrement dédiée au handball. J’y vois une formidable opportunité bien saisie par les partenaires qui nous accompagne.
Ce rôle me plait car j’ai la sensation d’être au cœur du réacteur et d’aider mon sport avec les valeurs qui me sont chères. J’aime bien avoir l’idée de rendre un peu de tout ce que le handball m’a apporté.

Autrefois consultant sur beIN, est-ce l’arrivée de Guillaume à la tête de l’équipe de France ou bien ton poste de vice-président qui t’a conduit à prendre du recul ?
Jusqu’à preuve du contraire, les journées font seulement 24h (sourire), donc à un moment il faut faire des choix. Lorsque j’ai dit à Philippe qu’il pourrait compter sur mon engagement, et puisque notre équipe a été élue, je suis quelqu’un de parole. Voilà, c’est juste la traduction de ne pas être capable d’être partout à la fois.

Après 10 mois, comment te sens-tu dans ce rôle de dirigeant bénévole, une fonction chronophage ?
C’est la force et à la faiblesse de cette organisation. C’est une force de se dire que les élus d’une entreprise dont la taille est non négligeable, est gouvernée par des bénévoles. Des gens qui sont proches des territoires, proches des valeurs dont on pense qu’elles sont partagées et défendues par les handballeurs. Mais c’est également une faiblesse parce qu’au sein de cette structure sur laquelle pèse des grands enjeux, ne pas être entièrement dévoué à la fédération, c’est forcément handicapant. On peut compter sur des équipes de salariés compétents et dévoués et qui, pour la plupart, fonctionnent bien. Le bateau continue d’avancer dans la même direction mais c’est aussi la limite du système. J’aimerais être plus souvent en capacité de proposer mon temps à la fédération mais voilà, il faut composer.

Philippe Bana l’a évoqué lors de la conférence de rentrée : il souhaite que les équipes de France jouent plus souvent dans l’hexagone. Peux-tu déjà annoncer des éléments concrets ?
Le travail continue à être effectué en sens. La venue des équipes de France constitue toujours une grande fête dans les territoires. Nous disposons de belles enceintes, nous avons une compétence organisationnelle, les partenaires nous accompagnent et les médias nous suivent plus aisément à domicile. Pour toutes ces raisons, jouer plus souvent en France et mieux exposer nos deux équipes de France, c’est notre ambition. Il faudra veiller à une répartition équitable sur le territoire et en fonction des dynamiques locales.

Propos recueillis par Hubert Guériau