Capitaine de l’équipe de France au début des années 90 et sacrée six fois championne de France avec l’ASPTT Metz, Corinne Krumbholz est aujourd’hui professeur d’EPS, responsable du suivi scolaire et entraîneure sur le site d’excellence de Metz. L’épouse d’Olivier évoque aussi, naturellement, le lien intime avec l’équipe de France féminine qui s’est envolée ce lundi vers le Japon.

Lors de l’annonce de la liste le 7 novembre dernier, Olivier a indiqué n’être jamais allé au Japon et il a ajouté : « Ma femme m’en parle encore : avec l’équipe de France, elle s’était rendue au Japon il y a 25 ans. » Alors Corinne, quels sont tes souvenirs ?
Le propos est un peu surfait car si je suis bien allée au Japon, à deux reprises avec l’équipe de France, c’était à chaque fois à Tokyo. Je n’ai donc pas eu l’occasion de visiter le pays. L’entraîneur était alors Bernard Bouteiller mais je ne me souviens pas vraiment des matches, sur invitation, que nous avions disputés. J’ai été marquée par la densité de la ville et par son architecture. Toute la surface est bâtie et lorsqu’un espace est vacant, on trouve une plantation de choux. Nous séjournions dans un hôtel de je ne sais combien d’étages. La salle d’entraînement se trouvait dans un immeuble : il fallait traverser des garages puis des bureaux pour découvrir enfin les ¾ d’un terrain situé au 10e étage.

Et sans tomber dans la caricature, c’est une ville propice à la consommation…
Il y a des rues entièrement dédiées à un thème. Je me souviens d’une rue avec des magasins d’électronique, une abondance de produits high-tech. Il y avait du matériel Hifi à chaque étage, parfois un étage entier pour un seul produit, l’un pour les télés, un autre pour les platines. J’avais rapporté un magnifique appareil photo de ce voyage. J’ai aussi le souvenir d’une rue remplie de bijouteries par dizaines.

Tu as été capitaine d’une équipe de France qui peinait à se faire une place sur la scène internationale. Aujourd’hui, est-ce encore une frustration pour toi ?
Je ne suis pas sortie frustrée de l’équipe de France et je n’ai jamais ressenti d’injustice. Remporter de nombreux titres avec l’ASPTT Metz, c’était mon graal. Faire partie de l’équipe de France m’a aussi rendu heureuse. C’était exceptionnel car j’avais seulement effectué un stage de détection à l’âge de 16 ans avant d’être effacée des tablettes. Et je suis revenue à 24 ans.

Quel regard portes-tu sur l’organisation actuelle de l’équipe de France avec son staff bien plus dense et dédié à la performance des joueuses ?
J’avoue que ce n’était pas une préoccupation. J’étais tellement mobilisée sur l’aspect handball, que je n’étais pas aussi attentive à l’encadrement. Il y avait l’entraîneur, le médecin, un kiné et un vidéoman. Je ne me souviens même pas de la présence d’un adjoint.

En même temps, à cette époque vous disposiez peut-être de plus d’autonomie…
J’ai une anecdote qui illustre bien cela. Lors d’une compétition à Séoul, nous étions logés dans un hôtel, à un étage très élevé. Une joueuse avait peur de prendre l’ascenseur. Alors pour chaque repas, chaque entraînement, elle prenait l’escalier. Au bout de trois jours, elle souffrait d’une tendinite au genou. Personne n’avait pris conscience qu’elle avait effectué tous ces allers-retours dans les étages. Aujourd’hui, ce serait impossible car le moindre détail est géré.

Avec ton père et tes oncles, tous footballeurs professionnels, tu as toujours été au contact du haut niveau…
Mon père était footballeur professionnel au FC Metz et ma mère était aussi sportive mais elle s’est sacrifiée pour assurer la prise en charge de la famille. Le matin, mon père dormait encore à mon réveil et le soir il était à l’entraînement ou au match. Je suis donc issue d’une famille de sportifs mais je n’ai jamais rêvé de faire du handball mon métier. Lorsque j’ai passé mon Capeps, je jouais en parallèle pour l’Asptt Metz sans le statut de joueuse professionnelle. Dans ma famille, le sport de haut niveau n’était pas une voie interdite. C’était normal que je puisse faire du sport. J’ai été accompagnée et encouragée.

Lorsque tu rencontres les familles des jeunes filles, est-ce un atout d’être l’épouse du sélectionneur pour faire passer le message des exigences du très haut niveau ?
Celui qui a des titres, c’est Olivier, ce n’est pas moi. Cependant, le fait de vivre avec lui me permet une grande proximité avec le haut niveau. J’ai l’occasion d’aller avec lui sur matches de la Ligue Butagaz Énergie et pas seulement au Metz HB. La proximité avec ce club permet aux filles du pôle de voir régulièrement ce qu’est le haut niveau. Au-delà de l’entraînement et dans la construction du projet, cela leur montre ce qu’il faut mettre en œuvre et l’exigence du haut niveau, le souci du détail. Les jeunes du pôle ont aussi la possibilité de s’entraîner deux fois par semaine avec le centre de formation du club messin.

Et le fait d’être une femme en charge du suivi scolaire et de l’entraînement ?
Il y a aujourd’hui un peu plus de femmes qu’auparavant, le milieu se féminise. En cela, je suis admirative du parcours de Raphaëlle Tervel. Mon parcours et mon expérience m’aident à gérer et à encadrer ces jeunes filles. Être une femme et une mère de famille renforcent peut-être le souci de bien accompagner les jeunes filles, pas seulement dans le handball mais aussi dans leur double projet, pour veiller à leur épanouissement et à leur bien-être.

Au travers du pôle, quel regard portes-tu sur l’antichambre du haut niveau ?
Si une ou deux joueuses par génération peut faire du haut niveau… Mais je m’intéresse à l’ensemble du parcours, au suivi scolaire. Je connais bien les professeurs, les kinés, la psychologue. Je suis garante de l’ensemble du projet. La vie que l’on fait vivre à ces jeunes filles est complexe et dense. Quand elles ne sont pas au pôle, elles jouent avec leur club ou sont appelées en stage avec les équipes de France jeunes sur le temps des vacances. Elles n’ont pas un instant pour respirer. Je ne sais pas comment s’en sortirait un adulte que l’on mettrait dans ce double projet.

Entraîner en pôle ne signifie pas coacher en match…
Il y a moins de pression qu’un entraîneur qui doit, chaque week-end, démontrer que les joueuses progressent. L’obligation de résultat est à plus long terme, sur les années qu’elles passent au pôle, moins de pression. Le travail en pôle est un peu schizophrène car j’entraîne les filles mais je ne peux pas mettre en œuvre ce que je prêche toute la semaine. C’est une grande frustration pour moi et très compliqué pour les jeunes de voir le groupe éclaté chaque fin de semaine. C’est pourquoi la mise en place de regroupements nationaux intergénérationnelle est importante afin que leur projet de développement soit discuté et partagé par l’ensemble des entraîneurs qui les accompagnent.

Comment suis-tu les matches de l’équipe de France féminine ?
Je préfère être seule. C’est compliqué pour moi de suivre un match en tribune, au milieu des autres. Commenter les matches fait partie des prérogatives des spectateurs mais je ne préfère pas entendre, que les commentaires soient justifiés ou non. J’ai aussi un certain devoir de réserve car ma vie professionnelle s’exerce dans le même environnement.

Et tu t’autorises à débriefer les matches de l’équipe de France avec Olivier ?
Qui mieux placée que moi pour lui dire les choses ? Il entend et il prend ce qu’il veut. La force d’Olivier, c’est une ligne de conduite. Il est à la fois très sûr de son projet mais en vieillissant, il entend de plus en plus certaines remarques.

Pendant ces 30 mois où Olivier n’a plus dirigé l’équipe de France, ton rôle d’épouse a forcément compté un peu plus qu’à l’accoutumée, non ?
J’ai essayé de l’accompagner afin qu’il puisse faire son deuil. J’ai toujours pensé que cette équipe ne lui appartenait pas et qu’il était seulement de passage.  En même temps, il est resté tellement longtemps aux commandes de cette équipe, qu’elle fait partie de lui-même. Je pensais aussi qu’il avait suffisamment de compétences et d’énergie pour s’atteler à un nouveau projet. Sa mission pour le Mondial 2017 est apparue comme une chance et une opportunité de faire des choses différentes. Et j’ai trouvé qu’il portait bien le costume même si c’était plus problématique pour l’intendance (sourire).

Toujours lors de la conférence du 7 novembre, Olivier s’est réjoui que l’équipe de France soit qualifiée pour Tokyo 2020 et Paris 2024… Les J.O. de Paris, en rêve-t-il ?
Il se questionne mais cela ne dépend pas de lui. Il est au service de la fédération qui aura plusieurs possibilités. Il est certain que vivre des J.O. à Paris, dans son pays, c’est exceptionnel dans une carrière et dans une vie.

Vous regardez de nombreux matches ensemble, dans les salles ou devant un écran. Est-une obligation professionnelle ou une passion commune ?
Nous prenons beaucoup de plaisir à regarder un match. Nous sommes COMPLICES, dans notre bulle et nos échanges sont lapidaires. On voit des choses que l’on résume parfois en un mot. Nous sommes parfois dans le plaisir, dans l’étonnement ou dans l’interrogation. Lorsque nous suivons un match depuis les tribunes, même s’il pense des choses, Olivier a un devoir de réserve. C’est tellement facile d’être au bord du terrain et de commenter…

Les coups de gueule d’Olivier sont connus, moins pour sa spiritualité et sa manie des citations qu’il cite à l’envi… À la maison, les citations sont-elles aussi légion ?
Oui, il adore toujours autant les citations. Régulièrement nous échangeons et dès que j’en trouve une, je lui transmets. Il a une bien meilleure mémoire que moi et il les retient facilement. La dernière en date est celle de Nelson Mandela qui était d’actualité avec la victoire des Sud-Africains lors de la coupe du monde de rugby. « Je ne perds jamais, soit je gagne soit j’apprends. »

La période actuelle avec la tension légitime qui précède une grande compétition, est-elle la plus compliquée à vivre avec Olivier ?
C’est toujours compliqué de vivre avec Olivier Krumbholz c’est une alternance entre le chaud et le froid. La période est un peu particulière mais pas très différente de notre quotidien. Olivier se prépare physiquement et mentalement. Il mène une vie d’ascète pour être en forme. Il met pas mal de choses en ordre avant de partir. Il regarde beaucoup d’images. Il est proche de ses joueuses et il les appelle plus encore dans la dernière ligne droite. Il aimerait voir tout le monde opérationnel pour le départ.

HGu