En stage avec l’équipe de France U20F tout au long de la semaine passée, Éric Baradat, adjoint d’Olivier Krumbholz de 2002 à 2013 puis lors des JO 2016, revient sur le parcours des cinq joueuses honorées dimanche à Montbéliard.

Comment s’est déroulé ce premier stage de l’année à la Maison du Handball ?
Ce fut un stage très utile avec des objectifs fixés autour de la 1-5 en défense. Nous avons pas mal avancé sur notre organisation, et nous pourrons poursuivre ce travail lors d’un nouveau rassemblement au mois d’avril.

C’est le début de cette génération. Les automatismes sont-ils plus délicats à trouver ?
Il y a une forme de stabilité par rapport à la génération précédente, et donc, déjà, quelques repères utiles. Le souci, c’est que deux des joueuses cadres, Assa Dabo Sissoko et Enola Borg se sont blessées, et que lorsque deux de tes meilleures arrières sont absentes, le travail se complique nettement. Mais ce ne sont que des aléas auxquels sont soumis pas mal d’équipes, et nous allons nous organiser en conséquence parce qu’elles seront absentes trois mois.

Qu’ont donné les rencontres face à Saint-Maur et Noisy-le-Grand ?
Déjà, je tiens à remercier les deux clubs qui ont joué le jeu de ces oppositions de travail. Nous l’avons emporté face à Noisy, et nous nous sommes inclinés contre Saint-Maur, mais c’est le contenu auquel je prête le plus d’attention.

Quels sont les objectifs pour cette sélection U20 ?
L’objectif prioritaire est de renouveler France A. C’est la mission principale. Il y a des objectifs intermédiaires, comme celui de permettre à ces filles de mûrir rapidement, de gagner en compétences afin d’être exposées dans le secteur professionnel. Et puis il y a les deux compétitions estivales, à commencer par l’Euro de juillet prochain en Roumanie. Nous avons d’ailleurs découvert le tirage au sort qui nous propose des oppositions relevées avec la Hongrie, la Norvège et la Serbie dans notre groupe.

Léna Grandveau et Sarah Bouktit, que tu avais en sélection la saison passée, ont participé à la semaine de préparation des deux rencontres face à la Suède. Est-ce que ça signifie que le fossé n’est pas si important que ça entre les deux mondes ?
Léna et Sarah sont deux joueuses dont la maturité handballistique est plutôt précoce. Elles ont été identifiées dès le départ du cycle, en amont des U20, comme deux gros potentiels ayant le profil France A. Après, il y a une grande différence entre s’exposer et devenir une joueuse majeure. Il leur reste beaucoup de route pour devenir des internationales avérées, mais elles démontrent en club toutes leurs compétences et continuent d’apprendre. Cette génération-là, celle des 2004/2005, me semble moins précoce, mais ça ne veut pas dire que des filles ne vont pas sortir. En dehors de Nina Dury, aucune ne joue en D1. Beaucoup d’entre-elles sont nées en 2005 et ont besoin de temps.

Dimanche à Montbéliard, cinq joueuses que tu connais bien ont été honorées pour l’ensemble de leur carrière en équipe de France…
Et j’aimerais souligner tout le respect que j’ai pour chacune de ces sportives, chacune de ces femmes, le respect que m’inspire leur parcours. Elles ont été le lien entre la génération des Valérie Nicolas, Isabelle Wendlling, Véronique Pecqueux-Rolland…, et la génération actuelle des Grâce Zaadi Deuna, Laura Glauser, Estelle Nze-Minko. Ce sont cinq grandes dames du handball.

Des dames qui étaient toutes les cinq de la finale olympique de Rio, en 2016. Quel souvenir gardes-tu de cette compétition ?
Plus que de la finale, je me souviens du contexte particulier puisque nous avions été rappelés avec Olivier (Krumbholz) à six mois de ces Jeux. Très vite, j’ai d’ailleurs eu la sensation d’un compte à régler avec cette compétition après les frustrations de 2008 mais surtout de Londres en 2012 et notamment ce quart de finale face au Monténégro. A Rio, on revient du diable Vauvert en quart de finale face à l’Espagne, et lorsque l’on s’impose contre les Pays-Bas en demie, je ressens une très grosse émotion partagée par le staff, les joueuses, puisque la médaille est enfin assurée. Au-delà de l’aspect collectif, il y a un noyau dur, des filles avec des caractéristiques précises qui méritent le respect, et pour lesquelles j’ai également de l’affection.

Quelle image, justement, gardes-tu de chacune d’elles ? Blandine (Dancette) par exemple…
Le grand public et les médias ne l’ont jamais réellement mise en avant parce qu’ils ne discernent pas toutes les composantes de son jeu et tendent à d’abord valoriser la contribution au score, alors qu’un but non encaissé vaut au moins autant qu’un but marqué. Blandine a été une joueuse absolument essentielle en équipe de France. Je dirais même une référence mondiale en défense en poste 1. Son intelligence tactique et ses immenses compétences lui ont permis de rattraper un nombre incalculable de coups. Aujourd’hui encore, lorsque je veux expliquer aux juniors les contours du rôle, je leur montre des montages avec des images de Blandine. J’ai vraiment la sensation qu’elle a été le meilleur poste 1 du monde. Toute l’équipe sait ce qu’on lui doit, et pas seulement au niveau du jeu. Sa compétence sociale a largement contribué à l’intelligence collective de cette équipe.

Après Blandine, on pense évidemment à Camille (Ayglon)…
Camille, c’est une élève de mon ami Christophe Chagnard, et je savais dès le début comment elle avait été éduquée au handball. J’ai d’abord le souvenir de celle que l’on surnommait alors Bambi, à Toulouse, en 2007 face à la Chine. On la faisait jouer un peu à l’aile. Elle aura été une arrière droite extrêmement respectable, mais elle s’est surtout imposée par sa science de la défense dans le secteur central, un poste 3 absolument merveilleux, douée d’une intelligence tactique rare, d’une capacité à lire les enclenchements des adversaires et à les déjouer. Le souvenir, aussi, de ce rôle de « syndicaliste » auprès d’Olivier. Elle revendiquait avec beaucoup d’humour. Et si je devais souligner un match, je choisirais celui face à la République tchèque à l’Euro en Serbie en 2012, juste avant notre éviction. Elle avait tout simplement été monstrueuse. Elle avait conscience des enjeux du match et de ceux autour du match. Elle s’est dépouillée dans toutes les phases du jeu pour être la plus solidaire possible avec son staff. Il y avait alors une grande complicité entre nous. Et comme pour Blandine, je veux insister sur la compétence sociale.

Siraba ?
Ce qui me marque chez Siraba (Dembele-Pavlovic), c’est sa progression tout au long de sa carrière. Nous avions identifié trois jeunes au Pôle de Chartres. Alissa Gomis, Nimétigna Keita et Siraba. On parlait beaucoup des deux premières. Je me souviens d’une discussion avec Thierry Vincent, durant laquelle nous avions convenu que si les deux autres étaient peut-être en avance, celle qui irait le plus loin était Siraba. Parce qu’elle a toujours eu une volonté au-dessus de la moyenne. Et des qualités physiques impressionnantes. Elle n’avait peut-être pas le handball facile, mais elle s’accrochait sans cesse. Elle a parfois pu avoir des doutes, les autres ne lui faisaient pas de cadeau au regard d’un handball surtout énergétique, physique. Mais elle a travaillé pour devenir cette joueuse marquante, mais surtout une immense capitaine de l’équipe de France. Immense à tous points de vue. Dans sa capacité à mener le groupe, le fédérer, lui, le staff, les différents acteurs. Elle a eu un respect permanent des joueuses et du staff, et cette attitude m’inspire beaucoup d’estime. Je suis sûr qu’elle va beaucoup amener au handball français lorsqu’elle aura terminé sa carrière.

Passons à Amandine (Leynaud). Comment la définirais-tu d’une simple formule ?
Amandine, c’est l’art de la stabilité. L’art du placement. Elle m’a énormément influencé dans ma vision du poste. C’est une gardienne équilibrée, stable au moment le plus important, c’est à dire lors du déclenchement, parce qu’elle a tout compris avant. Dans ce domaine comme dans d’autres, elle est une référence mondiale. Elle est arrivée derrière un monstre sacré, elle a été la très jeune coéquipière de Valérie Nicolas, et a très vite trouvé sa place, jusqu’à accompagner Linda (Pradel), Cléo (Darleux), Laura (Glauser) qui la considère d’ailleurs comme sa grande soeur. Je la trouve tout à fait dans son rôle dans le staff de l’équipe de France après l’avoir accueillie avec les U20. Les gardiennes sont plus qu’entre de bonnes mains. J’ai été surpris et amusé de la voir revenir sur le terrain à Györ. Ça signifie qu’avec une telle science du poste, on peut repousser ses limites. Attention, il ne faut jamais oublier qu’au départ, elle est une athlète d’une très grande qualité. Pour avoir été en charge de la préparation physique entre 2008 et 2012, je peux te dire qu’elle était dans le très haut du panier. Audelà de l’affection et du fait que je la considère comme une amie, j’ai un immense respect pour sa compétence de joueuse et de cadre.

Et nous terminerons donc avec Alexandra Lacrabère…
Tout a été dit sur notre relation… Je l’ai découverte à 11 ans, entraînée de 14 à 17 ans au Pôle, puis accompagnée pendant plus de dix ans en équipe de France. On a fait tout notre chemin ensemble et notre relation est forcément particulière même si nous sommes assez différents. J’ai plein de souvenirs de ses jeunes années. J’ai été dur et exigeant avec elle parce que je croyais dur comme fer qu’elle jouerait en équipe de France A, alors qu’elle n’avait pas été sélectionnée dans les équipes de France jeunes. Je me souviens avoir emmené Olivier dans une salle à Lyon qui recevait Bordes ce jour-là. Elle avait 16 ans. Je lui avais fait part de mon enthousiasme. Il m’avait révélé au terme du match qu’il n’y croyait pas beaucoup, que la route était longue. Alex, c’est une enfant de la balle. Son art de la passe, son sens du jeu lui ont permis de réussir cette carrière merveilleuse. Elle a un caractère très particulier, mais le lien que nous entretenons est particulier lui aussi. Si nous n’avions pas ce vécu en commun, peut-être, d’ailleurs, que nos caractères dissemblables, n’auraient pas souligné autant de points communs. Alex, c’est à la fois la bonté, les excès et la générosité. Je suis très fier d’avoir traversé son parcours et pu lui dire : tu ne vois pas la lumière pour l’instant, mais tu la verras un jour. Je pense que ça a contribué à renforcer sa motivation. J’ai beaucoup de respect pour la trajectoire qui a été la sienne. Ça montre que rien n’est écrit au départ. D’autant qu’elle a su se relever de plein de choses. Sa blessure à l’épaule lui a fait manquer le Mondial 2007, mais elle est revenue. Et son match en demi-finale du Mondial 2011 au Brésil, le jour où Allison a été victime d’une rupture du ligament croisé, a été extraordinaire.

Pour finir, parmi les U20 figurent Enola et Lylou Borg, les filles de Myriam Korfanty avec laquelle tu as décroché le premier titre mondial en 2003 en Croatie. Quel souvenir gardes-tu de cette compétition ?
D’abord, je tiens à souligner qu’Enola et Lylou sont deux joueuses qui ont incontestablement la capacité d’accéder au professionnalisme. Et lorsque je les vois ou les entraîne, je ne pense en aucun cas aux filles de Myriam, mais à deux joueuses dans leur singularité. Après, en ayant connu Myriam à 14 ans en sélection de Ligue Aquitaine, je ne peux m’empêcher de souligner le mimétisme. Elles ont la même éducation, celle de la mère de Myriam, Danièle Garrigue, et tellement d’attitudes en commun alors que les profils sont pourtant différents.

Et pour cette finale face à la Hongrie ?
Je revois un diable sortir de sa boite quand sa meilleure copine, Isabelle Wendling, écope d’un carton rouge. Myriam avait été très peu utilisée jusqu’alors, et avait accumulé de la frustration. Tout le monde garde en mémoire les vols de ballons, les traversées du terrain, la folie qui s’est alors emparée de l’équipe. Toute cette frustration accumulée est ressortie lors de cette finale. Si Isa n’avait pas pris ce carton, Myriam n’aurait jamais pu influencer à ce point le cours de la rencontre.

Propos recueillis par Philippe Pailhoriès