Après les garçons, très présents sur les parquets hexagonaux la semaine passée, c’est au tour des sélections féminines d’occuper le devant de la scène. Les jeunes filles d’Eric Baradat notamment. L’occasion entre autres d’évoquer les spécificités de la filière de performance féminine avec son responsable.

Peux-tu nous présenter les changements liés au Projet de Performance Fédérale initié depuis quelques temps déjà par le Ministère chargé des sports ?
Il a été demandé à toutes les fédérations d’avoir deux programmes, d’accession au sport de haut niveau, ou d’excellence pour ceux qui sont déjà rentrés dans un cursus un peu plus proche du haut niveau. Ce qui se traduit de manière assez simple dans le secteur féminin, avec un pôle espoir dans chaque territoire ou Ligue, et qui se décompose en un ou plusieurs sites d’accession (28 en tout, un seul en Centre Val de Loire, deux en Bretagne ou en Nouvelle Aquitaine, trois en Auvergne Rhône-Alpes…) pour un maximum cumulé de 36 athlètes de 13 à 15 ans. Ces jeunes filles n’apparaissent pas sur les listes de haut niveau, contrairement à celles de chaque site d’excellence (14), proposé aux joueuses de seconde, première, terminale. Dans ces derniers, elles ne peuvent être que seize par territoire, dont douze seulement parmi les plus âgées (16-17 ans). Et avec une obligation pour intégrer un site d’excellence, de joueur minimum en Nationale 2. C’est l’élément marquant qui distingue de la précédente formule et qui tend forcément à tirer le système vers le haut, dans un environnement forcément plus exigeant que le championnat de France -17. Ce n’est pas la même de gagner sa place à 15 ans dans un collectif de N1 ou N2, que d’être la star locale en -17 ans Nationale.

La spécificité du handball, dans cette commande ministérielle, est d’avoir proposé deux projets différenciés entre les garçons et les filles ?
En effet, pour la première fois, nous avons pu créer une filière spécifique féminine. C’est un choix que je défendais de longue date et validé à cette occasion par la DTN de l’époque entre 2015 et 2017. Le chemin d’accès vers le haut niveau devait forcément être différent. Il est évident, sauf cas exceptionnel, qu’un garçon de 15, 16 ans n’a rien à faire dans une équipe de seniors. Ce n’est pas le cas chez les filles qui y ont au contraire tout intérêt. C’est une question de maturité physique plus avancée. Ce qui n’empêche pas par ailleurs l’éclosion d’une autre catégorie de joueuses, à maturité plus tardive et moindre bagage technique. Et du coup aujourd’hui, on constate que les collectifs réserve de LFH sont composés de plus en plus de joueuses de pôles, de centres de formation, et de rares joueuses de clubs plus âgées. Ce qui se fait donc de moins en moins au détriment du réseau de clubs de N1-N2, dont le maintien est un enjeu majeur pour la Fédération.

Même si on peut difficilement en mesurer encore les effets au gré de la pandémie qui a forcément perturbé la mise en place ?
Alors oui nous avons clairement souffert de la situation par rapport à l’arrêt de la pratique en clubs. Mais, en revanche, du fait de la dérogation au sport de haut niveau, les jeunes filles en pôles, qu’elles soient en site d’accession ou d’excellence, n’ont pas eu de rupture d’entraînement. Là où le dispositif a été peut-être plus en souffrance, c’est sur le travail de détection en amont du pôle, faute d’activité des clubs. Malgré tout, j’ai la sensation que la génération qui vient de sortir est de qualité et qu’il n’y a pas de signal d’alarme particulier en rapport avec la situation sanitaire. Contrairement à un autre élément qui doit nous maintenir en alerte dans notre environnement : la concurrence des autres sports de ballons que sont le foot et le rugby féminin, sur les potentiels aux qualités physiques, motrices et de combativité. Je connais un certain nombre d’internationales, actuelles ou passées, qui n’auraient probablement pas fait de handball dans ce contexte…

N’est-ce pas justement la force du handball français de ne jamais verser dans l’autosatisfaction ?
Restons en effet confiant et vigilant. Le rôle des comités et des clubs va être important en ce sens. Et je sais que les élus fédéraux en ont pleinement conscience. C’est un vrai sujet dont il faut s’emparer et mettre en place des stratégies.

Tu as bien insisté sur la nécessité de différencier les filières. Ce n’est pourtant pas forcément dans la tendance égalitaire de nos jours ?
Je considère plutôt que le courage politique de Philippe Bana, alors DTN, en validant cette option de PPF distincts, est une vraie chance donnée aux filles. A partir du moment où tu reconnais la singularité, ce n’est absolument pas dévalorisant. Ce qui l’était plus avant, c’était de faire un PPF qui corresponde avant tout aux garçons, en se disant que les filles s’adapteraient. Or il n’y a pas que les spécificités biologiques, mais aussi en terme de population et de scolarité, qui justifient des traitements différents. Aujourd’hui, parmi les espoirs fédéraux, à savoir celles le plus susceptibles de renouveler France A dans les années à venir, j’ai 80% d’excellentes élèves. Leur accompagnement socio-professionnel est un élément de performance et une priorité de la Fédération. Ce qui est un peu moins vrai chez les garçons qui peuvent plus investir totalement dans le handball professionnel.

Dans la société aujourd’hui, les études sont soi-disant souvent un frein à une pratique sportive soutenue. Tu nous dis aujourd’hui tout le contraire dans le handball féminin français de haut niveau ?
En dehors de médecine et pharmacie, qui ne sont pas jouables, tout le reste est en effet faisable, même s’il nécessite un aménagement, sur le temps, l’organisation et le mode de vie. Nous avons actuellement des joueuses, internationales U20, qui vont signer un contrat pro et qui sont en Sciences Politiques. Ce sont des vrais choix de vie, et c’est pourquoi nous nous devons d’accompagner le plus tôt possible les athlètes dans leur projet. C’est aussi un peu notre ADN et notre marque de fabrique, à laquelle nous sommes collectivement attachés.

Peux-tu nous décrire un peu plus précisément comment s’articule la détection fédérale féminine ?
Nous avons donc trois équipes nationales U16, U18 et U20, mais au-delà de cela, nous avons un groupe que l’on peut continuer à appeler « espoirs fédéraux », et qui travaille dans un dispositif de « regroupements intergénérationnels ». Il n’y pas de notion de collectif dans ce cadre, on s’attache avant tout au potentiel, et ce sont une vingtaine de filles regroupées quatre à cinq fois par an, à la MDH sur une semaine, pour un suivi spécifique. On peut parler de sorte de centre national non permanent. On chemine à côté d’elles, en essayant d’enlever les gros cailloux qui peuvent passer devant.

On peut résumer ce dispositif à la mise en place d’une élite plus restreinte et un vivier plus élargi ?
Tout à fait ! On rentre plus de filles dans les pôles, ce qui permet de réduire certaines inégalités géographiques ou d’antériorité de pratique, mais à partir de 15 ans, on resserre réellement vers les joueuses qui ont à la fois les capacités et surtout le projet de faire carrière. La machine tourne bien, mais on peut encore s’améliorer sur tout, de la détection initiale à l’accompagnement des jeunes internationaux. Et toujours en tête de performer en France A.

Propos recueillis par Hugo Chatelain