Adjoint de Guillaume Gille en équipe de France masculine et entraîneur de Chambéry Savoie Mont Blanc Handball, Érick Mathé est l’invité de l’entretien du lundi. Il rapporte notamment son expérience depuis une année au sein du staff des Bleus.

Adjoint de Patrice Canayer à Montpellier, tu en ensuite devenu n°1 à Chambéry. Comment s’est opéré à nouveau ce passage en tant qu’adjoint et en quoi ce rôle est-il différent en équipe nationale ?
Le rôle d’adjoint diffère aux côtés de personnalités qui n’ont pas les mêmes attentes. Le management de Patrice n’est pas le même que celui de Gino. Forcément, je m’adapte à ce que les entraîneurs principaux ont besoin. Être l’adjoint de Patrice, qui a un palmarès long comme le bras et qui fait un peu partie des dinosaures parmi les entraîneurs, implique un rôle différent de celui avec Gino. Il est un jeune entraîneur avec une grosse expérience internationale. Il s’est construit pour se préparer à être technicien.

Selon toi, devenir adjoint au lendemain de la nomination de Guillaume Gille a t-il facilité ton intégration au sein du staff ?
Bien sûr, c’est mieux, avec en plus le vécu de Gino qui faisait déjà partie du staff. Malgré cela, nous avons tout remis à plat dans le fonctionnement. Il existe toutefois une forme de continuité à la fois dans la sélection des joueurs et sur le projet de jeu. Pour autant, nous essayons de revisiter tous les secteurs.

En quoi ton parcours atypique, en pôle, dans le secteur féminin et masculin, est-il un atout pour effectuer la bascule entre l’univers d’un club professionnel et celui de l’équipe de France ?
Je ne sais pas si c’est lié au parcours ou au fait que j’ai initié ce parcours mais j’ai l’impression de m’adapter assez facilement aux différents contextes qui s’offrent à moi. Je me suis très vite mis dans le bain de l’équipe de France car j’ai effectivement cette habitude de passer d’un niveau de formateur, à entraîneur professionnel. Tous ces contextes, je les ai vécus et cela m’aide beaucoup aujourd’hui à pouvoir rapidement switcher pour être le plus performant possible.

Comment s‘organise votre collaboration à Chambéry – vous êtes quasiment voisins – en marge des rassemblements de l’équipe nationale ?
J’ai partagé mon planning du club de Chambéry avec Gino afin de positionner les moments où nous pouvons nous voir ou nous appeler. On se voit à minima une ½ journée par semaine, dans les locaux du club de Chambéry. Nous avons bien entendu un ordre du jour. Nous confrontons nos idées qui peuvent s’opposer, chacun avance ses arguments comme dans un jeu de rôle, et c’est bien évidemment Gino qui décide. En réalité, il ne se passe pas une journée sans que nous ayions un échange.

Lorsque tu revois les matches de Chambéry pour débriefer la prestation de ton équipe, observes-tu par ailleurs les internationaux français, les autres joueurs en général ?
Oui clairement et ce travail m’aide dans la connaissance des joueurs de l’équipe de France lorsque je les rencontre. Quand j’analyse un match avec le focus sur Chambéry, j’ouvre plus le champ et je regarde les joueurs sélectionnés. Je regarde énormément de matches chaque semaine, une douzaine environ. C’est nécessaire pour voir les matches où figurent des joueurs de l’équipe de France. L’autre raison est que je suis reconnu comme quelqu’un qui est un fou de vidéo sauf que Gino en regarde plus que moi et cela m’agace beaucoup. Il me surpasse dans ce secteur-là. (sourire).

Quelle est aujourd’hui la nature de votre relation. Peut-on parler de complicité ?
On s’est de suite bien entendu sur la façon de voir les choses. Gino a un mangement qui interroge tout le monde dans le staff, qui n’est pas descendant. Il n’empêche que c’est lui qui décide et s’il doit être ferme, il le sera. L’autorité n’est pas une marque de faiblesse. Il questionne énormément et s’appuie sur mon expérience et je suis à l’aise pour présenter des idées qui sortent de l’ordinaire. J’ai toujours considéré qu’il fallait un entraîneur numéro et un adjoint ; je suis respectueux de cette hiérarchie. Je n’ai pas besoin de nourrir mon égo et ce rôle-là me plait.

Tu sais ce que vit un numéro 1, notamment lorsque le match approche. T’autorises-tu à protéger Gino et à l’accompagner afin qu’il ne soit pas détourné de la préparation ?
Gino est quelqu’un qui s’intéresse à tous les champs, qu’ils soient techniques, physiologiques, médicaux et médiatiques. Je sais qu’il est ouvert à cela mais mon expérience me dit qu’il vaut mieux ne pas être trop parasité afin d’être concentré à 100 % sur le match, afin de ne pas perdre de l’énergie. J’essaie donc qu’il ne soit pas détourné de sa mission première avant les matches.

Comment expliquer ce qui apparait aujourd’hui comme de la complicité entre vous alors que nous n’étiez pas proches auparavant ?
Avant de recevoir le coup de fil pour me proposer de devenir son adjoint, on s’était rencontrés, en tout et pour tout, seulement trois fois. Lors du congrès des CTS à Montpellier après la victoire du MHB en Ligue des Champions. Et deux fois lors de nos déplacements avec Chambéry pour aller affronter le Paris SG car Gino se trouvait dans le même TGV. À l’une de ces occasions, nous avons discuté tout le temps du voyage, pendant 3 heures. J’ai tout de suite senti que cela accrochait entre nous. Cela fait un peu « speed dating » mais Gino m’a fait partager des techniques de communication qui ont démontré que cela pouvait coller entre nous. La relation reste à approfondir mais les fondations sont posées.

Tu n’as pas croisé Guillaume Gille sur les terrains alors quel regard avais-tu sur le joueur qu’il fût, notamment en équipe de France ?
Je suis Parisien d’origine et j’ai eu le bonheur d’assister à la finale du Mondial 2001 à Bercy. Je me trouvais juste derrière le banc de l’équipe de France et je me souviens de l’étreinte intense entre Bertrand et Guillaume Gille. J’ai cette image bien en tête car j’avais ressenti alors quelque chose de très fort entre eux. J’ai toujours pensé que c’était un joueur d’équipe. Guillaume était un joueur « couteau suisse » qui rentrait pour poser les choses et les remettre dans le bon ordre lorsque l’équipe perdait le fil. Je retrouve cette compétence-là dans son management, sa façon de faire.

Quel regard portes-tu sur cette saison de Lidl Starligue rythmée par les aléas de la crise de la Covid-19 ?
J’apprécie lorsque les choses sont anticipées et planifiées mais cette saison nous interdit cela. Comme j’aime à le répéter régulièrement à mon staff, notre meilleur outil c’est une gomme car sans arrêt le planning est chamboulé. Le plus difficile, ce n’est pas le bouleversement du planning, c’est surtout le report d’un match quelques heures avant. Quand cela s’arrête le jour même, une décompression inconsciente se produit et lorsque trois jours plus tard, la situation se répète, alors c’est extrêmement difficile de remotiver l’effectif. Il faut ensuite retrouver l’appétit, l’entrain et le dynamisme. En fonction de tous ces scénarios, on ne sait pas non plus dans quel état se trouve l’adversaire.

Propos recueillis par Hubert Guériau