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Introduction et diffusion du handball en France : des origines étrangères à l’affirmation nationale française (1922-2004)

https://www.theses.fr/2019STRAG028

Professeure agrégée d’EPS à l’Université de Strasbourg, Lise Cardin est désormais docteure depuis le 24 octobre et la soutenance de sa thèse portant sur « Introduction et diffusion du handball en France : des influences étrangères à l’affirmation nationale française ». Lise Cardin raconte ici les étapes de son travail et quelques faits marquants qui émanent de ses recherches qui ont contribué à la muséographie de la Maison du Handball.

Avant de nous intéresser à ton travail, quel est ton parcours dans le handball ?
J’aurai bientôt 29 ans et cela fait une douzaine d’années que je joue au hand. Auparavant, je jouais au basket et je pratiquais l’athlétisme. J’ai débuté à Cherbourg, ma ville d’origine, et mes acquis dans le basket m’ont permis assez rapidement de jouer en championnat de France -18. Aujourd’hui, j’évolue au poste de pivot, en N2, avec mon club du CS Reichstett HB.

À quel moment as-tu décidé de consacrer cinq années de travail à une thèse sur le handball ?
Après l’agrégation obtenue en 2013, à 22 ans, j’ai en effet décidé de débuter une thèse car lors de mon parcours de normalienne, j’ai effectué un certain nombre de mémoires dont un sur la relation entre Canal + et le sport puis un autre sur la médiatisation télévisuelle du handball français des années 50 jusqu’en 2014. En travaillant sur ce mémoire, j’ai constaté qu’il existait très peu de choses hormis quelques monographies ainsi que les ouvrages de Jean-Pierre Lacoux (Histoire et histoires du handball français, 4 FFHB pour une) et de Christian Picard (Les tribulations d’un piqué de hand). Devant cette impression de vide, j’ai monté un dossier pour débuter une thèse mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi difficile. J’avais pensé que peut-être une époque récente recenserait plus de documentation.

Comment as-tu organisé ta vie professionnelle pour mener à bien cette thèse ?
J’ai bénéficié d’une bourse spécifique pendant trois ans et, en même temps, j’avais un tiers de service d’un enseignant-chercheur à effectuer. Après ces trois années, j’ai pu poursuivre en tant qu’attachée temporaire d’enseignement et de recherche puis obtenu un poste de professeur d’EPS agrégée en Staps, afin de terminer ma thèse. J’apprécie toujours de mettre le jogging pour dispenser mes cours.

Pour ouvrir le débat, quelle est, selon toi, la date de création de la FFHandball ?
J’ai choisi 1941 et Vichy. C’est un certain regard sur l’histoire et peut-être qu’un autre chercheur, avec les mêmes données, partirait sur une autre date. Alors pourquoi 1941 ? C’est le moment où les professeurs d’éducation physique sont extrêmement dynamiques dans un contexte où le régime politique de Vichy développe la pratique sportive. René Bouet est nommé président de la fédération. Les acteurs politiques du régime de Vichy l’ont mis là pour qu’il puisse gérer l’activité, tout en restant secrétaire-général de la fédération de tennis de table. Le régime cherche à contrôler et certains militants du handball se mettent en désaccord.

Pourquoi le régime Vichy avait-il, selon toi, un regard bienveillant sur le handball ?
L’occupant laisse se développer le handball, un sport germanique. Les représentations du handball étaient différentes, telles que le gouvernement français d’alors, le souhaitait. Le handball incarnait l’homme fort, qui court, saute, lance. Un homme nouveau.

Le handball sert à la réconciliation des peuples allemand et français dès les années 50…
Avant tous les autres sports collectifs en effet, le handball constitue le premier sport à opposer l’Allemagne et la France. Le match se déroule le 8 avril 1951 Ludwigshafen, devant 26000 spectateurs. Cela constitue la reprise des relations entre les deux nations et plus largement de la fédération allemande avec la fédération internationale de handball. Ce match fait l’objet d’un résumé de 4‘34’’ à la télévision française. Dans le corpus analysé, il s’agit du premier épisode télévisé d’une rencontre de handball.

À quel moment l’apparition du handball (alors à 11) est-elle datée en France ?
Le hand à 11 se développe à la fin des années 20, à Mulhouse, dans le milieu ouvrier. Il est importé par le voisin suisse et est pratiqué par les hommes. J’ai retiré de mes travaux que le handball est un sport collectif, de grand terrain, créé en dissociation du rugby jugé violent, et de la pratique mercantile du football.

Le handball n’était donc pas accessible aux femmes ?
En mai 1922, deux équipes tchèques viennent en France et elles initient des femmes françaises au hazéna, un jeu de balle qui ressemble à du handball à 11. La pratique de ce sport est ouverte aux femmes tandis que le foot et le rugby sont réservés aux hommes.

Pourquoi, à ce moment-là, la pratique de l’hazéna est-elle dirigée vers les femmes ?
La représentation d’alors du handball correspond à l’image de la femme que l’on attend dans l’entre-deux guerres. Le caractère non brutal de la discipline permet l’expression de la grâce et de l’esthétisme, aussi des mouvements souples, amples et gracieux fluides. Ce sport est considéré alors comme l’apanage de la femme.

Comment le handball se développe-t-il pendant l’entre-deux guerres ?
À partir de 1926, le handball a été géré par la fédération française d’athlétisme qui abritait une commission de jeux de balle à la main (basket et hand). Dans les documents fédéraux, il n’est jamais noté que le handball fait partie de la FFA. Pourtant les représentants de la FFA se rendent à des réunions traitant du handball, lors des congrès internationaux de la fédération internationale de l’athlétisme. En 1940, le handball devient une commission de la fédération de basket avant son détachement en 1941.

Et sur le terrain ?
La première équipe de France scolaire apparaît en 1937, lors des Jeux universitaires de Paris. Il faut quatre équipes pour cette compétition mais avec des désistements de dernière minute, seulement trois équipes sont inscrites. Afin que le tournoi puisse se dérouler, ce sont des joueurs de basket, de foot et des pratiquants d’athlétisme qui constituent une équipe… qui subit de lourdes défaites.  En octobre 1937, certains de ces joueurs,  professeurs d’EPS, participent à un stage de 10 jours en Allemagne et à leur retour, ils expliquent la pratique à leurs collègues afin de développer le handball au sein du sport scolaire. Le handball est alors un melting-pot des autres pratiques avec différents profils d’athlètes tels que les lanceurs et les sprinteurs. Il faut attendre les années 1950 pour que le handball commence à se dessiner comme un sport à part entière avec des éléments technico-tactiques spécifiques.

Quelle est ensuite l’évolution du handball ?
À partir de la Libération, le sport scolaire prend le dessus sur le sport ouvrier. Le sport fédéral ne prend pas autant de place qu’aujourd’hui. C’est à partir des années 60 que s’opère un basculement avec la structuration des compétitions fédérales et la massification des licenciés liée au Plan d’Expansion lancé en 1964. Au début des années 80, c’est toujours l’amateurisme coubertinien qui prédomine et le handball se développe avec une certaine distance par rapport au sport français. En effet, le président fédéral des années 1960 et 1970, Nelson Paillou, est un fervent défenseur des valeurs olympiques et il tient à distance la publicité et le sponsoring, au point qu’un match international sera délocalisé car un panneau publicitaire est visible dans Stade Pierre de Coubertin à Paris. Puis, dans les années 90 s’ouvre la période de professionnalisation du handball et de diversification de l’offre fédérale avec notamment le mini-hand.

Pourquoi avoir fixé 2004 pour la fin de tes travaux de recherche ?
Cette date de 2004 correspond à la création de la LNH. Le processus de professionnalisation a atteint un niveau qui transforme l’objet culturel du handball. En l’état, c’était impossible de traiter plus loin mais cela ouvre des perspectives pour la suite de la recherche. Je ne ferai pas une deuxième thèse mais les 15 dernières années de la fédération constituent une perspective principale d’étude.

Un virage vers la professionnalisation entamée 20 ans plus tôt…
À partir de 1986, est mis en place le plan Paris 92 qui correspond à la candidature de la ville aux J.O. Ce plan deviendra Pari 92 avec l’ambition de réussir quelque chose aux J.O. Une réussite puisque l’équipe masculine sera qualifiée et médaillée. À partir des années 90, le handball s’inscrit dans une logique professionnalisation.

Comment as-tu été accueilli par les membres de la fédération, tant les élus que le personnel ?
Durant les deux premières années, mon travail n’était pas très connu de la fédération mais il n’y a pas eu de sentiment de méfiance, bien au contraire. Les portes se sont ouvertes et on a facilement accepté que je vienne travailler à Gentilly, dans les locaux historiques. Sophie Brunet était mon contact principal puis Barbara Guislain du Centre de Ressources et de Documentation de la Maison du Handball. J’ai été bien accueillie et j’étais autonome pour traiter les documents qui étaient sortis à ma demande. J’ai pu les photographier, un par un, pour les traiter ensuite. Les liens avec la FFHandball se sont renforcés à partir de 2016 avec la mise en place conjointe d’une série d’entretiens à réaliser pour retracer la mémoire du handball et la muséographie de la Maison du Handball.

Quel a été le support principal de tes recherches ?
J’ai énormément mobilisé les archives fédérales, auxquelles j’ai confronté les ouvrages ou des productions portant sur les aspects technico-tactiques ainsi que la presse, en particulier de l’entre-deux guerres. Il existe très peu d’archives sur le handball issues de cette époque. Globalement, j’ai axé mes recherches sur trois volets : institutionnel, social et culturel afin de proposer une approche totale de l’histoire du handball. J’ai aussi travaillé à partir de l’iconographie : des dessins, des croquis et des caricatures couplées à des sources orales. Pour cela, de nombreux entretiens ont été réalisés avec des joueurs, entraîneurs et dirigeants ayant œuvré dans le milieu du handball depuis 1940. Les archives fédérales recensaient des courriers, des comptes-rendus de conseil d’administration, des photographies, des statistiques, des revues fédérales… Un travail réalisé avant que les revues fédérales soient accessibles sur le site internet de la BNF. J’ai aussi eu accès aux archives institutionnelles (CNOSF, Ministère Jeunesse et Sports et FFGT) nationales (à Pierrefite-sur-Seine et aux archives nationales du monde du travail à Roubaix), aux archives du musée du sport à Nice etc.. J’ai également accès à des archives privées lors des entretiens.

Ce long travail de recherche a généré d’autres belles rencontres ?
J’avais contacté Claude Rinck qui, en janvier 2016, m’informe qu’il organise quelques mois plus tard l’Assemblée générale du Club France. Catherine Nicaise a accepté ma présence à Antibes et de là ont commencé des échanges réguliers avec Catherine et son mari, Alain. Claude Rinck a aussi été formidable : au début de nos échanges, pendant deux semaines, il m’appelait quasiment tous les jours. Il m’avait fait la promesse d’assister à ma soutenance de thèse et il est venu à Strasbourg, le 24 octobre dernier, en voiture depuis Antibes. Puis je suis rentrée dans la commission scientifique de la Maison du Handball en tant qu’experte. Mon rôle était d’apporter du contenu et de valider les dates posées.

Une dernière question un brin provocatrice. À quoi sert finalement une thèse ?
Une thèse a une utilité sociale et scientifique, notamment dans le milieu des Staps pour tous les étudiants qui préparent le concours de professeur d’EPS. Jusqu’à présent, rien n’avait été réalisé dans le handball. Pour la communauté universitaire, il s’agit d’un certain pas en avant. Cette thèse est donc une contribution facile d’accès. Il me reste à la réécrire afin qu’elle soit publiable car, à ce jour, elle comporte 1200 pages et plus de 700 pages d’annexes. Pour la fédération, cette thèse a déjà été un support à la muséographie qui est déployée à la Maison du Handball. De plus, ce travail de recherche sur la façon dont le handball s’est construit, questionne la situation actuelle. Ce ne sont pas les mêmes logiques mais la scission entre le hand à 11 et le hand à 7 est intéressante au regard de la place et l’évolution possible du Hand à 4.

Comment envisages-tu ton avenir professionnel ?
Jusqu’à présent, j’ai mené de front mon métier de professeur d’EPS et les cinq années de travail consacrés à ma thèse. Ce travail de recherche est le fruit de toutes mes expériences et je souhaite poursuivre dans cette voie, peut-être dans le cadre d’un travail d’enseignant-chercheur.

HGu