Philippe Bana est naturellement le premier invité de la rentrée de l’entretien du lundi. Le président fédéral revient sur l’été fantastique du handball tricolore et évoque notamment la reprise de l’activité.

Que t’inspire la performance remarquable des deux équipes de France à Tokyo ?
Celle d’une mission impossible remplie par nos équipes et nos staffs, celle d’une performance durable du handball qui traverse le temps. L’obsession de ne jamais regarder en arrière caractérise le handball. Au handball quand tu as ta médaille, tu n’y penses déjà plus. Mais à force de s’habituer à gagner, d’avoir banalisé les victoires, on ne se pose plus pour apprécier ce qui est exceptionnel. Notre histoire est merveilleuse et il faut donc prendre le temps de l’apprécier et de la partager.

Avais-tu imaginé un dénouement aussi exceptionnel ?
Je dis souvent que notre meilleur jour n’est pas encore venu. Je n’imaginais pas forcément que ce meilleur jour serait une double médaille d’or olympique. Mais je sais, même à ce moment incroyable, qu’il n’est pas encore venu car nous avons encore de belles histoires à écrire ensemble. Je ne regarde pas en arrière mais tout de même : après le Mondial de 2019 de Kumamoto pour les filles et la défaite des garçons en Serbie début janvier, seuls des visionnaires pouvaient imaginer alors que nos équipes seraient championnes olympiques. Nous ne doutons jamais en fait : nous connaissons ces chemins. Bravo à tous d’y avoir cru.

Justement, quelles sont les clefs de la réussite ?
Le handball fabrique un sport mixte, de performance, avec une vision sociétale. Nous avons la capacité de traverser les tempêtes avec beaucoup d’humilité. Ces femmes et ces hommes, les coaches, les staffs, ont réussi des choses extraordinaires. Il y a une énergie créée comme une étincelle qui ne s’éteint pas. Des femmes et des hommes se rassemblent pour construire la performance. Tout cela ne répond pas à une équation mathématique ou économique, mais d’une alchimie humaine dont nous avons le secret et la responsabilité. C’est un lourd héritage à transporter qui appartient à tous les handballeurs et dont nous sommes dépositaires.

Ces deux titres interviennent à l’issue de deux saisons très impactées par la crise sanitaire…
J’ai la mémoire de cet Euro féminin au Danemark en décembre dernier où nous étions seulement quelques-uns, dans les tribunes, pendant que les filles vivaient dans une bulle étanche. Idem en Égypte quelques semaines plus tard pour les garçons. Me reviennent aussi les images de l’hôtel à Koshu où nos deux équipes cohabitaient et prenaient leur repas sur des tables individuelles pendant qu’aucun club amateur ne jouait… Alors ces victoires constituent le bonus olympique : la meilleure campagne de communication imaginable pour le handball avec 3 à 5 millions de téléspectateurs tous les jours pendant la quinzaine olympique. Elles sont aussi inspirantes pour nos formidables dirigeants bénévoles qui se bagarrent pour relancer l’activité dans les clubs, ce qui est notre objectif premier en ce mois de reprise.

Comment préparer au mieux cette reprise ?
Nous avons anticipé en fabriquant, dès les mois d’avril-mai, un plan de reprise d’une valeur totale de 12 millions d’Euros. Il comprend plusieurs volets, des efforts pour la licence, la gratuité de la part fédérale des renouvellements. Des ligues et des comités ont suivi la démarche fédérale. Aussi de la formation, un dispositif d’apprentissage, des webinaires, des équipements (beaucoup de terrains de beach handball, de hand à 4, de kits scolaires…). En plus des succès des équipes de France, de l’activité inlassable des clubs, ces éléments étaient de nature à préparer la reprise de l’activité. Après, tout se joue entre le club et ses licenciés, dans ce lien qu’il ne faut pas rompre.

Pour la marque handball, ces victoires sont aussi inestimables…
Oui bien sûr, malgré le budget FFHB déficitaire de 5 millions pour aider les licenciés à la reprise de septembre, nous avons, avec Bertrand Gille, sécurisé au printemps notre pool de partenaires au terme d’un travail acharné ; de nouveaux partenaires arrivent aussi. Idem sur le plan médiatique avec une exposition plus forte avec des grands groupes télévisuels qui diffusent les matches de nos équipes aux côtés de notre partenaire majeur beIN Sports. On réfléchit désormais à avoir une stratégie événementielle plus tournée vers la France : permettre aux clubs, aux licenciés de voir partout et plus souvent en France les rendez-vous de nos équipes de France. Nous sommes ambitieux car l’objectif sera de mettre un million de spectateurs dans le stade Pierre Mauroy à Lille, lors des J.O. de 2024. Tout cela pour donner envie de venir jouer en clubs.

Quel est l’objectif en terme d’adhésion ?
À date, nous dépassons les chiffres de septembre 2020, en retard sur 2019 bien sûr. Une année olympique, c’est d’habitude plus 10 %, environ 50.000 licenciés supplémentaires. Aujourd’hui, les clubs ont surtout besoin de reprise d’activité, de bénévoles disponibles. Fédérations et territoires font leur maximum pour les aider. Si le mois de septembre se passe bien, et c’est notre sentiment, la lumière s’illuminera au bout du tunnel. Nous avons mis en place des outils pour favoriser l’adhésion, notamment un dispositif digital avec HelloAsso. Aujourd’hui, un tiers des licences sont prises en charge sur cette application digitale plus simple pour le licencié. Le plan de digitalisation va se poursuivre. Les forums des associations qui animent la rentrée, sont aussi décisifs : nous aurons ainsi une meilleure visibilité à la fin du mois de septembre. Nous poursuivrons cet effort de service aux licenciés et aux clubs, la reprise et la croissance vont s’étaler dans le temps. Il faut regarder loin devant.

Les médailles remportées par l’équipe de volley masculine et les deux équipes de basket à Tokyo constituent-elles une forme de concurrence pour le recrutement des nouveaux licenciés ?
Franchement, nous ne sommes pas dans ce rapport avec les deux autres fédérations du BHV (Basket-Hand-Volley). Au contraire, le BHV est une confrérie illustrée par nos échanges réguliers avec les présidents Éric Tanguy et Jean-Pierre Siutat. Il n’y a pas d’opposition mais bien le sens du partage. Tant mieux si le sport collectif génère du vivre ensemble chez les Français. Nos fédérations respectives ne sont pas en compétition et on ne va pas se disputer les gamins. Après la crise de la Covid-19, je suis convaincu que nos deux titres donneront de la force à nos 500 000 licenciés et à nos 2400 clubs pour la reprise.

Outre les deux médailles d’or, Charlotte et de Julie Bonaventura se sont aussi distinguées à Tokyo…
Ce sont les meilleures arbitres du monde : ce sont des femmes qui arbitrent des femmes et des hommes. Charlotte et Julie incarnent une certaine idée de la parité que l’on défend à la fédération. Elles ne sont pas les moins rigoureuses, et le mot est faible. Leur carrière est un exemple : elles brillent avec la même exigence que celle des athlètes.

En quoi leur exemplarité peut-elle susciter des vocations ?
Olivier Buy, le président de la commission d’arbitrage, élabore actuellement un plan pour développer l’arbitrage, en particulier féminin, en particulier d’accompagnement. Notre objectif est de traiter les arbitres comme des sportifs de haut niveau.

Directeur technique national par intérim depuis octobre 2020, Thierry Gaillard fait valoir ses droits à la retraite. Quand sera-t-il remplacé ?
En effet, nous aurons un nouveau directeur technique national à partir du 1er novembre. L’appel à candidature a été lancé après le départ vers la retraite de Thierry Gaillard. Je remercie chaleureusement Thierry qui a effectué un travail colossal ces dix-huit derniers mois pour tenir cette période difficile, mettre en place des protocoles et des guides de reprise de l’activité, accompagner la digitalisation.

Dans la dynamique des championnes olympiques, la Ligue Féminine de Handball a également fait sa rentrée…
Pour nous, la LFH n’est pas seulement un modèle sportif, c’est un modèle sociétal, un modèle économique, une certaine vision du sport féminin. Avec Nodjialem Myaro, nous souhaitons d’ailleurs renforcer et solidifier cette Ligue, l’élargir et lui donner une plus grande force. Nous avons proposé aux clubs d’aller à la parité LNH / LFH, avec la volonté d’intégrer la D2F à l’intérieur de la LFH après les efforts fournis par tous en cette année difficile ; nous allons commencer le travail cette saison. Il existe une marque LFH et nous devons continuer de la développer. Et construire aussi un monde pour elles comme on l’a fait pour eux dans les années 1990. Un monde du handball pour eux, un monde du handball pour elles, un monde du handball pour tous et maintenant, pour reprendre !

Propos recueillis par Hubert Guériau