L’emblématique préparateur physique des Bleues est de retour aux affaires depuis 2016 avec bonheur et réussite, aux côtés de son ami Olivier Krumbholz. Il nous confie quelques secrets du travail minutieux de cette équipe de France, entre des joueuses extrêmement rigoureuses et tout un staff au diapason. Et nous parle des spécificités d’un Euro plus tôt qu’à l’accoutumée.

Après deux grosses saisons entrecoupées du titre olympique de 2021, les internationales ont bénéficié d’un été 2022 sans stage. Comment avez-vous procédé pour régénérer les troupes ?
Il y a eu certes une coupure estivale en 2022 sur l’organisation des stages de l’équipe de l’équipe de France, mais il n’y a pas eu de rupture dans le travail en fait. Le deal qui a été passé à la fois avec les joueuses et les staffs des clubs, y compris étrangers – que je remercie d’ailleurs pour leur collaboration au gré de nombreuses visio-conférences en juin dernier – était d’avoir un peu la mainmise sur le travail de course, en leur laissant à contrario la partie du renforcement musculaire. J’avais livré nos orientations et notre programme, eux se sont adaptés à ce que l’on souhaitait sur une période de trois semaines environ. Cela s’est fait plutôt de manière consensuelle et collaborative. Chapeau et merci à tous !

Cette option a été choisie à la place d’un stage qui aurait en effet mobilisé les athlètes autour de la fin juin comme de coutume, et contrairement à ce qui se fera de nouveau en 2023 ?
Exactement. En parallèle, avec la Fédération, on s’est doté de moyens pour justement suivre les joueuses à distance, au travers d’une montre connectée à chaque joueuse. Ainsi, les séances de chacune étaient concentrées sur une plateforme que l’on a créée, et ce qui me permettait de voir ce qu’elle faisait, quand, où, et parfois d’adapter les programmes en fonction de la météo, l’humidité, la chaleur et leurs vacances, car il n’était pas non plus question de les brider par rapport à une coupure nécessaire pour certaines depuis 2016. Une première étape donc plutôt bien réalisée.

Qu’était-il important de conserver durant cette période-là de préparation individualisée et spécifique ?
La caisse au niveau foncier principalement. On s’est souvent rendu-compte que lorsque l’on avait oublié de travailler dans cette période-là, on ratait un peu l’hiver, comme ce fût le cas en 2019 par exemple. Sur l’euphorie de 2016, 2017, 2018, on s’était un peu oublié. On s’est endormi à l’époque et l’on en a tiré les leçons depuis. Cette fois, le mode de fonctionnement leur a permis de souffler, tout en restant concentré sur les perspectives et très professionnelle dans le travail qu’on leur demandait. Au gré aussi d’une période à géométrie(s) variable(s) en fonction de celles qui ont joué la finale de la coupe de France le 11 juin, fini le Final Four de la Ligue des champions le 4 juin, celles qui avaient des problèmes plus ou moins importants. Toutes n’ont pas fait la même chose et cela concernait 32 filles dans une liste élargie, de juin à début juillet globalement.

En plus de cette séquence très individualisée, votre suivi ne s’arrête pas là, même si vous n’avez retrouvé les internationales que ce mois-ci ?
La deuxième étape en effet, qui a permis de préparer en amont le championnat d’Europe à venir, a concerné à partir du 28 août les trente filles listées par Olivier. Elles devaient me renvoyer toutes les semaines une sorte d’audit hebdomadaire de ce qu’elles avaient fait, en nombre d’entraînements de handball, en séances de musculation, éventuellement travail cardio physiologique, matchs, temps de jeu et blessures, enfin sans rentrer dans le détail car je ne suis pas médecin. Ce qui fait que j’ai chaque semaine un tableau de bord à jour, et lorsque l’on a démarré les stages de préparation en octobre, Olivier et Sébastien disposaient d’un état des lieux général du niveau de sollicitation sur les huit semaines en parallèle. La semaine dernière par exemple, nous avons aménagé le programme de certaines afin de les regénérer en quatre, cinq jours.

Est-ce aussi une organisation particulière, liée à une compétition exceptionnellement avancée d’un mois cet été ?
Non, c’est ce que l’on fait tous les ans, sauf que cette fois, nous sommes trois grosses semaines en avance. Ce qui n’est pas forcément inintéressant dans la quantité de travail, car l’on peut penser qu’elles sont moins impactées à ce stade, que sur un tournoi traditionnellement début décembre. Elles ont disputé quand même moins de match de championnat, de Ligue des champions, les organismes pourraient être moins entamés. Mais ce qui me questionne aujourd’hui, c’est le temps qu’elles passent dans les déplacements. Au-delà de toute polémique, c’est chronophage, fatiguant, des positions assises pas toujours très confortables sur le plan orthopédique. Il y a quelques filles qui ont autant de temps d’activités physiques que de déplacements, c’est à prendre sérieusement en compte. Tu le payes forcément à un moment ou un autre.

D’où l’organisation si pointue du staff médical de l’équipe de France depuis de nombreuses années déjà ?
La capacité à récupérer est au centre des préoccupations de notre staff médical hors pair en parallèle. Chaque soir après les repas à l’hôtel, c’est vingt minutes de massage pour chaque joueuse par exemple. Comme nous, eux ils ne négligent rien et contribuent énormément à la régénération des corps, parfois des âmes et surtout des énergies.

Tout cela dans le souci justement de bien gérer les énergies jusqu’à la fin de la compétition ?
Exactement. L’année dernière, nous avons disputé un Mondial qui s’apparentait à un Euro, en enchaînant que des grosses affiches. Du coup, nous n’avons pas réussi à maintenir pleinement la régulation des énergies, et tiré plus sur certaines joueuses au gré des matchs, ce que nous avons payé à la fin je pense. J’essaie de tout mettre à jour et trouver en quelque sorte un indicateur de charge, afin de mettre nos taulières dans les meilleures dispositions sur la fin d’une compétition. Il faut être aussi capable de les calmer parfois, de les écouter plus souvent, de les accompagner généralement.

En quoi cette recherche peut différer du fait d’un Euro plus précoce par rapport à la fin de l’année ?
Cela ne change pas grand-chose, dans le sens où il faut avoir l’humilité de considérer qu’en équipe de France, nous sommes plutôt en crise de temps. Ce qui est important avant tout c’est ce qui se passe dans les clubs. Heureusement que tout le monde travaille, même selon des manières différentes. Nous, on réajuste sur l’entretien, à raison de 60% de travail commun et 40% adapté, individualisé, orienté. Sur dix jours de préparation, nous aurons trois séances de musculation, la dernière mercredi matin, et des séquences d’entraînement beaucoup plus courues et jouées, donc plus courtes mais intenses. Ce sont quand même avant tout des machines de guerre, nous sommes plus dans le réglage que de changer le moteur. Mais nous ne sommes pas les seuls non plus à travailler de plus en plus méticuleusement. Peut-être que tout ce que l’on a mis en place ne suffira pas. On essaie en tout cas de tout optimiser au maximum.

Propos recueillis par Hugo Chatelain