En disputant ensemble cet Euro, Coralie et Déborah Lassource perpétuent une tradition vieille de plus de soixante-dix ans.

Coralie et Déborah ne sont pas des pionnières, loin s’en faut puisque dès le premier match officiel de l’équipe de France féminine, le 20 octobre 1946 à La Haye face aux Pays-Bas, deux sœurs, Paulette et Raymonde Wolfs ont revêtu ensemble cette tunique bleue ornée d’un coq brodé sur la poitrine.

Que deux sœurs partagent l’infime honneur de représenter un pays demeure pourtant un phénomène assez exceptionnel dans le handball tricolore. Andrée et Yvette Galvez ont connu leur seule et unique sélection en avril 1952 face à la RFA, Suzanne et Marie-Claire Cathiard ont débuté ensemble face aux Pays-Bas le 7 février 1960, alors que Simone, la plus âgée des trois, les avait précédées de quelques années.

Si les Norvégiennes ont su compter avec les soeurs Lunde, Oftedal, Kristiansen ou Loke, les Bleues, elles, n’avaient plus aligné deux soeurs depuis le 11 mars 1986 à Bordeaux, lors d’un rendez-vous avec le Japon. Marielle et Annick Demouge avaient évidemment savouré ce baptême particulier, tout comme Coralie et Déborah se sont délectées de celui de Koprivnica, le 3 mars dernier. « C’était un rêve dans nos carrières respectives », murmure Déborah, « et je suis trop fière qu’elle soit là, qu’on ait la chance de pouvoir évoluer ensemble dans cette équipe », appuie Coralie.

Fières, oui, heureuses de partager l’aventure, mais sans pour autant valoriser à outrance ce lien du sang. « Lorsqu’Olivier m’a appelée, admet ainsi Déborah, j’ai d’abord eu le réflexe de savourer le fait d’aller en équipe de France, et ensuite seulement celui d’y retrouver ma sœur. »

Coralie et Déborah ont sept ans d’écart, une histoire différente et des points de comparaison inévitables. Elles sont capitaines en club, elles ont défendu les mêmes couleurs, connaissent une trajectoire commune. « Mais on ne joue pas au même poste, précise Coralie, encore que nous partageons une certaine forme de polyvalence, une capacité d’adaptation aussi, et le sens de la combativité. » Ce regard commun, parfois, a pesé, sur les épaules de la cadette notamment, qui le justifie sans peine : « En fait, on a eu les mêmes entraîneurs avec Coralie, à des périodes différentes, et on m’a tout le temps comparée à elle et ça a fini par me saouler. »  

Plus du tout aujourd’hui. Les deux suivent leur chemin, leurs profils sont identifiés, leurs qualités reconnues et ces retrouvailles soulignent de nouveaux équilibres. « On a joué ensemble lorsque j’étais au centre de formation à Issy-Paris, se souvient Déborah. J’avais bien profité de ce moment-là, Coralie m’avait accompagnée et c’était un vrai atout d’avoir une personne sur qui compter. Aujourd’hui, je sais d’autant mieux que je peux m’appuyer sur elle si besoin. » 

Les soeurs Lassource avec leurs parents et leur jeune frère, à Nantes, lors de l’ultime match de préparation à l’EHF EURO 2022. (Photo FFHandball / J.Schlosser).

Il n’existe que très peu de travaux, en sciences humaines et sociales, sur les fratries sportives et le bénéfice qu’un entraîneur peut tirer de leur connivence. Mais il est raisonnable de penser que les relations interpersonnelles développées entre soeurs, l’attachement, l’affection, l’alliance fiable influencent la dynamique de groupe. « Tout le monde kiffe de nous voir toutes les deux réunies, rigole Coralie. Dès que l’on croise une joueuse, c’est : alors les sisters ? Après, je ne sais pas si ça peut être une force pour l’équipe. C’en est une pour nous. On se connait tellement… Si je la sens hésitante, si je vois qu’elle n’est pas bien, je l’accompagnerai sans l’étouffer parce qu’elle est une bonne joueuse, une bonne personne, mais qu’elle est d’abord ma soeur. »

Une soeur qui aurait pu ne jamais être là. Coralie avait dix-onze ans lorsqu’elle s’est lancée dans le handball. La famille vivait dans un quartier difficile de Martinique et le gymnase était au pied de la maison, refuge naturel pour occuper le temps libre. Et Déborah était obligée de suivre… « Moi, dit-elle, je ne voulais pas faire de sport, je voulais tranquillement rester chez moi, mais on m’a forcée. »

L’anecdote résonne d’un autre écho aujourd’hui. Ensemble – même si elles ne partagent pas la même chambre en sélection -, elles se délectent de chacun des instants que la vie leur offre. Elles se ressemblent d’ailleurs dans ce mélange de hargne et de pudeur, cette humilité qui transpire de chacun de leur geste. « On savoure, soupire Coralie, parce qu’avec notre différence d’âge ce bonheur ne sera pas éternel. » 

Papa et maman sont fiers, évidemment. Ils ne les verront pas côte à côte pendant les hymnes, le protocole est trop strict, peut-être à la fin de la compétition, sur le podium, soudées pour l’éternité.

Philippe Pailhoriès