Marcel Gaudion, à jamais le premier capitaine des équipes de France de handball à 11 puis à 7, a quitté la planète handball le 23 avril dernier, à l’âge de 97 ans. Son fils, Gilles, a retracé le parcours de cet homme discret qui a écrit les premières pages des Bleus et remporté les premiers titres nationaux avec son club de toujours, Villemomble Sports.

Un athlète remarquable
Marcel Gaudion est né en 1924 à Gagny (Seine St Denis), d’un père comptable dans les chemins de fer et d’une mère au foyer venue de Belgique francophone. Âgé de 16 ans en 1940, il est trop jeune pour être mobilisé. Au début de l’occupation allemande, il est d’abord un féru d’athlétisme.  Bien qu’il habite Gagny, il pratique son sport au Stade de Villemomble. Pendant la seconde guerre mondiale, Marcel Gaudion brille sur les terrains d’athlétisme. C’est d’abord dans les catégories jeunes en triathlon et en lancer de poids qu’il se distingue, mettant ainsi à profit ses qualités athlétiques (1m86, 86 kg) avant de basculer dans le handball et de devenir son premier leader charismatique.

Pratiquant également le basket-ball, ses coéquipiers et lui découvrent avec intérêt le handball, en observant les soldats allemands jouer dans leur stade. L’entraîneur de basket de Villemomble Sports, Raymond Hoinant, décide de se servir de ce sport pour entrainer ses joueurs.  Très vite, l’équipe abandonne le basket pour se consacrer au hand-ball. La FFHB est créée en 1941. Le 1er match de Villemomble Sports a lieu le 23 novembre 1941 contre le Stade français (10 à 0).

Capitaine historique de Villemomble-Sports
Les résultats du club sont vite excellents. Le Président de Villemomble Sports, Claude Ripert, lui a dédié un terrain pour jouer et s’entraîner, un privilège envié par beaucoup d’autres équipes qui peinent à emprunter leur terrain aux footballeurs. Dès 1943, VS atteint la finale de la coupe de France en Zone occupée, battu par le Stade Niortais.  En 1945, c’est la consécration, Villemomble fait le doublé Coupe, Championnat de France. Le hand-ball français compte alors 200 clubs et 4000 licenciés. 10 ans plus tard, le nombre de clubs a doublé (450) et celui des licenciés triplé (14500). Malgré ces chiffres encore modestes, le hand est déjà un sport populaire : la finale de la Coupe de France 1945 entre VS et Asnières, au Parc des Princes, est suivie par 15 000 spectateurs ! Ce jour-là, Marcel Gaudion marque 5 des 9 buts de Villemomble.
L’année suivante, le club remporte à nouveau la Coupe en écrasant Lyon 11 à 3 en finale et gagne aussi le Championnat de Paris. Après une finale de Coupe de France perdue face à Fougères en 1947, c’est un second sacre parisien en 1948. En 1949 Villemomble réalise un nouveau doublé Coupe –  Championnat de France. Le club réussit ensuite l’exploit de gagner les 4 coupes de France suivantes !
L’année 1953 marque un dernier sommet, en même temps qu’un tournant pour le hand-ball villemomblois. Cette année-là en effet, VS gagne sa dernière Coupe de France, à 11, et remporte son 1er et seul titre de champion de France à 7. Cette double victoire ressemble fort à un passage de témoin entre le hand à 11 en extérieur et le hand à 7 en salle. Ce virage a d’ailleurs été entériné l’année précédente, par la FFHB qui va donner la priorité au hand en salle. Dès lors, le jeu à 7 va supplanter le hand à 11 et VS n’atteindra plus jamais les étoiles.

Marcel Gaudion tient le trophée lors du tour d’honneur avec ses coéquipiers de Villemomble SPorts, champion de France de handball à 11, en 1949 (DR).

Avec son grand rival l’AS Préfecture de Police de Paris, Villemomble sports est sans conteste, le plus grand club des débuts du hand-ball français. Vainqueur de 7 coupes de France, 2 championnats de France à 11, enfin un titre de champion à 7, le 1er de l’histoire, remportés entre 1945 et 1953, VS est aussi l’un des plus titrés. Marcel Gaudion a gagné tous ces trophées. Avec le gardien de but Michel Rochepierre jusqu’en 1948 et le buteur Maurice Chastanier à partir de 1948, il était la vedette incontestée de l’équipe. Après la mort tragique en 1944 des deux capitaines historiques du club, Robert Hébert tué lors du bombardement de Vaires sur Marne et Henri Girard tué dans la Résistance au massacre de Oissery, puis le départ en 1948 de Marc Rochepierre au Racing, c’est à Marcel Gaudion que Raymond Hoinant confie la direction de l’équipe. Il a alors 24 ans, et, hormis ses énormes qualités physiques, il est doté d’un mental à toute épreuve et d’une excellente vision du jeu. C’est d’ailleurs principalement au poste de demi centre, autrement dit de meneur de jeu qu’il fait carrière (à 11, il lui arrive de jouer aussi à l’avant).  Ses qualités de leader sont elles aussi remarquables : en mai 1949, « Hand Ball », le magazine de la Fédération Française loue « le cran et l’abnégation du joueur » qui en font « un magnifique exemple pour les jeunes ». L’article conclut par « Le handball français vous doit beaucoup et nous souhaitons à tous nos clubs d’avoir un capitaine comme vous ». Bien que la municipalité de Villemomble ait attendu 1967 pour construire la salle indispensable qui manqua longtemps à l’équipe de hand à 7 de VS, Marcel Gaudion, fidèle parmi les fidèles, reste au club jusqu’à la fin de sa carrière, au début des années 1960.

Il faut dire que VS est un club de copains qui vivent tous alentours et qui parfois sont collègues comme Marcel Gaudion, Georges Sannier et Roger Zélus. Il y a d’ailleurs plusieurs fratries dans l’équipe, les Sannier, les Rochepierre, et…les Gaudion, puisque Roger le frère de Marcel y joue aussi. On est loin du sport professionnel. Les moyens sont limités. Les déplacements nécessitent de longs trajets en train. En région parisienne, pour se rendre aux matchs, les joueurs utilisent souvent la voiture du Président du club de Gagny et futur député-maire Raymond Valenet et parfois même… les camions benne. Ils se paient eux-mêmes une bonne partie de leur équipement. Il n’est pas rare, même en hiver que les douches soient froides. Il arrive même qu’elles se limitent à des tonneaux en extérieur. Malgré tout, la camaraderie et le goût du jeu sont le ciment de l’équipe. Les matchs sont souvent l’occasion de bons gueuletons ou de rencontres originales, comme ce match à Dijon où les joueurs de VS sont reçus par le Maire de la ville, le Chanoine Kir, créateur de la célèbre boisson du même nom.

Villemomble est aussi un formidable club formateur. Les équipes de jeunes suivent l’exemple de leurs aînés en multipliant les titres. En 1948, des clubs rivaux (notamment le Racing Club de France et la Porte normande de Vernon) réussissent à attirer six joueurs de VS, en particulier les frères Rochepierre, Lubert, Coillot et Fisher, tous internationaux. Qu’à cela ne tienne, après un début de saison 1948-49 difficile, l’équipe première intègre des jeunes du club, parmi lesquels le gardien Motta et la future vedette de l’équipe de France à 7, Maurice Chastanier et VS finit par remporter le doublé Coupe Championnat !

Un pionnier de l’équipe de France
Bien qu’il n’y ait pas encore de coupes d’Europe des clubs, Villemomble sports est le 1er club français à jouer régulièrement contre des équipes étrangères : les Suisses d’Aarau en 1945, les Luxembourgeois de Esche et les Suisses des Grashoppers de Zürich en 1946, les Allemands de Wuppertal et les Danois de Copenhague en 1948, ou encore la redoutable équipe de la Légion étrangère en 1950. Plusieurs fois sélectionné en équipe de Paris, Marcel Gaudion joue le 27 novembre 1954 un match mémorable à 7, au stade Pierre de Coubertin contre la grande équipe de l’époque, celle de la police de Hambourg.  Alors que la dernière confrontation entre la France et l’Allemagne, lors du championnat du monde en Suède, s’était soldée quelques mois plus tôt par une déroute française (27 à 4), la plupart des autres internationaux français déclarent forfait face à Hambourg. Fier, devant 5000 spectateurs, Marcel Gaudion réussit l’exploit d’emmener ses jeunes coéquipiers vers un match nul inespéré, 20/20, au cours duquel il marque 7 buts.

Vedette de l’une des deux meilleures équipes du handball français, Marcel Gaudion est tout naturellement appelé en équipe de France par le sélectionneur national René Ricard. Le 12 mai 1946, à l’âge de 22 ans, Il participe au 1er match de l’histoire des bleus qui se joue à Metz contre le Luxembourg, dans le cadre de la Coupe de la paix (10/6) (Capitaine ???). En 1952, il joue les deux matchs de la France lors de la Coupe du Monde à 11 contre les Pays Bas et la Suisse (capitaine ???). Blessé, il n’est pas appelé lors du tout premier match de l’équipe de France à 7 en février 1952 contre la Suisse à Bâle, mais dès le suivant, le 14 mars 1953, de nouveau contre la Suisse, c’est à lui que le sélectionneur confie le rôle de capitaine. Il le reste à 11 comme à 7 jusqu’en 1955. C’est lui qui conduit l’équipe nationale durant ses premiers Championnats du monde à 7, en Suède, en 1954. Évidemment, les Bleus sont encore loin du niveau exceptionnel qu’atteindront plus tard les « Barjots », les « Costauds » ou les « Experts ». Rien de plus normal. Comparée aux fédérations des nations germaniques qui sont déjà des organisations de masse, la FFHB ne compte que 10 000 licenciés en 1950, quand celle de RFA atteint déjà les 300 000. Les préparations en amont et le travail tactique sont encore quasi inexistants en équipe de France. Il n’empêche que les Bleus de Gaudion se classent 7èmes mondiaux à 11 en 1952 et 6èmes à 7 en 1954.

Le plus grand souvenir de Marcel Gaudion en équipe de France, comme à tous les internationaux qui l’ont joué est le match à 11 contre l’Allemagne à Ludwigshaffen le 8 avril 1951. Le fameux match de la réconciliation entre les deux nations est disputé devant 26 000 spectateurs. La France combat vaillamment et s’incline 12 à 5 face à l’équipe qui allait gagner le titre mondial l’année suivante. A cette occasion, Marcel Gaudion a la lourde tâche de marquer Bernhard Kempa, la star mondiale du hand dont le nom est depuis devenu celui d’une marque d’articles de sport. Le magazine Hand Ball écrit après le match que Gaudion a « bien réussi à neutraliser Kempa puisque celui-ci fut contraint de faire jouer ses camarades, plutôt que tenter sa chance personnellement ». Effectivement, Kempa, pourtant avant-centre, marque seulement trois buts ce jour-là, dont un sur coup franc direct.

Le témoignage de Gilles Gaudion (second fils de Marcel – avec Michelle), aujourd’hui Professeur d’histoire-géographie à la Martinique :
De sa carrière handballistique, mon père préférait le handball à 11 qui lui permettait d’exprimer au mieux ses qualités athlétiques. Cependant, il appréciait aussi le handball à 7, car il aimait son rythme trépidant. Une réserve cependant : il m’a souvent dit qu’à son époque, il était formellement interdit de toucher ses adversaires et que cela nuisait au jeu. Il aurait adoré jouer aujourd’hui, car le handball est devenu un sport de contact. Toutefois dans une interview qu’il avait accordé à Frédéric Brindelle dans le numéro d’avril 2003 de HandMag, il déclarait que ses coéquipiers et lui auraient volé en éclats s’ils avaient affronté les gros gabarits d’aujourd’hui. Étonnant de la part d’un homme qui était systématiquement le plus grand sur les terrains de son époque (1m86, 86 kg)… Son plus grand regret sportif ? Ne pas avoir participé aux Jeux olympiques. Juste après la seconde guerre mondiale, il avait espéré aller aux Jeux de Londres en 1948, puisque le Handball à 11 était présent aux JO de Berlin en 1936. Hélas, la discipline ne fut pas retenue par le CIO et il fallut attendre Munich en 1972 pour que le hand à 7 soit admis aux Jeux.
Une fois sa carrière terminée, Marcel Gaudion s’éloigna du handball. Personnalité humble et discrète, il ne chercha jamais les honneurs et se laissa oublier. C’est son ancien coéquipier en équipes de France et de Paris, Jean-Pierre Lacoux, devenu Président, puis Président d’honneur de la Fédération française qui tint à lui redonner la place qui lui revient parmi les pionniers du handball en France. Ainsi, en 2002, pour les 50 ans de la fédération française créée en 1952, lui le capitaine de Villemomble sports, 1er champion de France de hand à 7, âgé de 78 ans s’aligna timidement, pour la photo et l’accolade, sur le parquet du palais omnisport de Paris Bercy aux côtés de tous les capitaines de club victorieux qui lui avaient succédé.

La gommette rouge réservée aux capitaines a été apposée par Jean-Pierre Lacoux pour son coéquipier Marcel Gaudion. (Photo FFHandball).

PARCOURS ET PALMARÈS :
Équipe de France – Handball à 11 :
16 sélections (1946-1954)
, dont 2 matchs de championnat du monde (1952) : 18 buts.
1ère sélection en mai 1946 : 22 ans.
6 victoires, 2 nuls, 8 défaites.
Équipes nationales rencontrées : Luxembourg, Suisse, Belgique, Espagne, Portugal, RFA, Pays Bas, Autriche

Équipe de France – Handball à 7 :
7 sélections (1953-1955),
7 capitanats dont 4 matches de compétition officielle (Qualification et Championnat du monde en Suède 1954) : 17 buts. Dernière sélection : Février 1955, 31 ans.
1 victoire, 1 nul, 5 défaites
Équipes nationales rencontrées : Suisse, RFA, Espagne, Danemark, Tchécoslovaquie

Club : Villemomble-Sports
Handball à 11 :
7 Coupes de France (1945, 1946, 1949, 1950, 1951, 1952, 1953)
2 Championnats de France (1945, 1949)
Handball à 7 :
1 championnat de France (1953)