Le 11 octobre 2008, lors de la 79e Assemblée générale de la FFHandball, Joël Delplanque succédait à André Amiel qui ne souhaitait pas briguer un 4e mandat. Au moment de cette transmission de témoin, Jean Férignac, membre éminent du Bureau directeur, rendait un hommage sincère et littéraire à son ami André Amiel, dans les colonnes de HandMag. Nous avons souhaité publier ce très beau texte qui, dans ces circonstances, prend encore davantage de force.

Don André,

Même si je l’ai côtoyé de nombreuses années, cet homme a toujours été une énigme pour moi, un mystère, une dimension inconnue… Les émotions semblent glisser sur lui sans l’atteindre, comme s’il vivait sur une autre galaxie. En réalité, c’est tout le contraire. Sous ses allures de pasteur anglican, il cache un tempérament volcanique et une grande sensibilité… tout l’atteint, tout le touche, le bouleverse dans des profondeurs hallucinantes de son âme.

C’est un homme de titane, inaltérable, capable de passer au-dessus de ses émotions pour défendre la vérité et préserver les intérêts de sa Fédération, les intérêts des gens passionnés comme lui.

C’est un homme complexe, à la personnalité multiple qui glisse avec agilité dans le quotidien. Il préfère le silence plutôt que le tintamarre, la retenue à la place de l’esbroufe, le chuchotement au lieu de la déclamation. Ce n’est pas le propre de cet homme que d’aller fendre la foule pour rencontrer une « huile », une personnalité… ou de faire du « rentre dedans » à tout crin. Et pourtant lorsque l’intérêt supérieur est en jeu, il n’a pas peur de beurrer la tartine dans tous les sens et bien qu’il respecte les règles, il sait, en Marseillais roublard, s’affranchir des codes. Même s’il côtoie les plus huppés de nos politiques, c’est un défenseur de la base… on peut dire, à l’inexactitude historique près, qu’il a quelque chose de Victor Hugo, il a le magistère moral et l’imaginaire spirituel de l’auteur des « Misérables » et surtout il reste toujours, à l’Elysée ou sur le bord d’un terrain, près du peuple, qui à son avis, seul délivre un brevet d’authenticité et apprend le catéchisme de la rue.

Gouverner, dit-il, c’est vieillir. Gouverner, c’est choisir. Il a su faire la différence entre une fonction de président qu’il assume pour le meilleur et le pire, qu’il dévolue à un groupe de fidèles, compétents, ambitieux mais toujours au service du hand… pas facile d’entrer dans son « cercle » d’intimes. Par instinct, par conviction, il a su sélectionner celles et ceux qui lui ressemblent un peu et qui n’ont jamais voulu mêler sans vergogne sport et politique… bien que lui et eux aient des idées bien ancrées.

En fait, c’est dans ses silences, qu’on l’entend le mieux. Le sport lui a donné le goût d’être lui-même et, comme beaucoup, une seconde famille. Il lui a aussi appris la haine, du convenu et de l’angoisse tenace des fins de matches où l’avenir de la Fédération est en jeu.  C’est en côtoyant les jeunes d’aujourd’hui parfois sans repère, souvent sans pitié, qu’il a appris le « monde » et pour lui, les mots comptent moins que les actes.

On connaît l’homme de la fédération, celui qui ne veut pas qu’on caricature le passé ni qu’on l’idéalise et qu’on s’insurge contre ceux qui pensent que le handball a commencé à vivre en 92 à Barcelone… C’est oublier les Nelson, Lacoux, Chastanier, Thomas, Gelé, le père Picard… ceux qui ont fait l’essentiel du travail, le plus obscur, vers la lumière et le succès. Il sait que si, actuellement, on entre dans « la galerie des Glaces », il n’oublie pas les « trous à rats » où le handball a été parqué de nombreuses années. On connaît moins l’autre, l’homme de Lascours, au pied du Garlaban, là même où Pagnol a écrit sa trilogie. On admire ses exploits fédéraux, on ignore ses parties de pétanque, son goût prononcé pour le Sociando-Malais, sa faiblesse pour l’OM, ses amitiés inaltérables pour ses proches et son attachement secret à ceux qui ont disparu : son frère Claude, les amis Atteinaud et Etché qui, avec le temps, ne s’effacent pas de sa mémoire.

Il rêve quelquefois à un vol d’étourneaux dans le rectangle de la fenêtre d’un été provençal, avec à l’horizon rapproché, des collines couvertes de chênes verts, de thym sauvage au milieu des oliviers et des lavandes… en écoutant le vent chanter dans les cyprès tout proches. C’est pour demain. Il part avec le sentiment du devoir accompli en ayant tracé la partition sportive d’avenir, il a conçu et dicté la ligne mélodique, il ne reste plus qu’à mettre les notes dans le bon sens. Mais avant de quitter les affaires, il veut laisser la demeure propre, nette, claire et remettre les clefs à celles et ceux qui vont lui succéder en espérant qu’ils poursuivront le même chemin, ensoleillé et libre, fait de succès et de peines, de passions et d’exigences.

Qu’il nous permette de lui redire, aujourd’hui, notre fidèle gratitude et notre admiration pour le travail qu’il a accompli avec simplicité et silence. Nous allons nous séparer avec tristesse et nostalgie pour, chacun avec nos passions, nous installer dans une nouvelle vie, sans oublier jamais l’indicible affection qui nous unit et ces paroles de l’abbé Pierre, « le bonheur, c’est les autres, le bonheur, c’est le partage ».

Jean Férignac, pour tous les amis de la fédération.

André Amiel a été président de la FFHandball de 1996 à 2008.