Certainement pas le plus Barjot parmi les Barjots, Yohann Delattre a pourtant joué un rôle clef lors du Mondial 1995. Aujourd’hui entraîneur de l’équipe de France U21, il revient sur le premier titre mondial remporté par les Bleus en mai 1995, du côté de Reyjkavik.

Si tu fermes les yeux, quels sont les souvenirs qui émergent de ta mémoire ?
Je ne peux pas m’empêcher de penser à une première semaine complexe où l’alchimie collective n’était pas forcément au rendez-vous. Heureusement, cette période s’est achevée lors du match face au Danemark. Un vrai tournant avec une victoire d’un but et synonyme d’un passage, par la petite porte, en deuxième semaine. Ce match a agi tel un déclic et, à partir de là, il y a eu une prise de conscience collective. Le groupe était particulièrement intelligent et Denis (Lathoud) a été le détonateur, le rassembleur des énergies et des intelligences au service du collectif. Nous avons ensuite basculé victorieusement face à l’Espagne et des circonstances de victoire aujourd’hui mémorables. À partir de là, j’ai eu la sensation que les pièces du puzzle s’étaient remises en place.

Sous l’ère de Daniel Costantini, trois gardiens étaient régulièrement appelés. Comment avais-tu vécu la concurrence exacerbée au sein du trio ?
Si je ferme encore les yeux, je suis peut-être un peu naïf, mais à aucun moment je ne pense à une concurrence malsaine. Bien sûr nous avions tous la motivation et l’ambition de jouer et de tout faire pour, mais j’ai la sensation que nous avions un véritable fonctionnement à trois. Le fait d’être centré sur nous-même, n’empêchait pas le partage et la bonne entente. À l’époque en effet, Daniel Costantini retenait trois gardiens et suivant l’état de forme, les aléas d’une compétition et peut-être les adversaires, il faisait ses choix. Si je pense au regretté Mémé (Philippe Médard), mon idole, il avait débuté face à l’Espagne mais il n’était pas à la conclusion de cette belle médaille aux J.O. de 2012. C’est un peu ce qu’il s’est produit en Islande. Ma posture était d’aller gagner du temps de jeu pour m’installer un peu plus dans l’équipe ou dans la doublette. Avec le recul, à l’image des premiers matches, rares sont les individualités qui ont été à leur avantage et les gardiens ont été irréguliers dans leurs performances. Ma prestation face au Danemark a donné une plus forte confiance en moi aux yeux de Daniel qui n’avait pas d’états d’âme sur qui devait jouer. J’ai cité Barcelone mais lors du Mondial 2001 Christian (Gaudin) et Bruno (Martini) ont débuté et à la fin c’est Thierry (Omeyer) qui prend une place prépondérante.

Les rétrospectives mettent le plus souvent en avant les buteurs…
Oh mais je n’ai pas de frustration, je sais qui je suis et je connais ma personnalité. À l’intérieur du groupe, il y avait des garçons plus exubérants et extravertis, d’autres garçons avaient une personnalité plus réservée. Je ne ressens, en aucun cas, de la souffrance. Je n’ai pas ressenti de manque de lumière et honnêtement déjà, à cette époque-là, je me sentais très bien dans ce groupe avec ma personnalité qui était connue et appréciée, je pense. Par rapport à des garçons qui avaient une expression plus conséquente, il y avait un équilibre. Cette exubérance était une manière d’évacuer une forme de pression, de montrer une forme d’existence, c’était l’alchimie de cette équipe.
Avec le temps, je suis conscient qu’avec ce titre, j’ai construit pas mal de choses. J’en suis conscient et reconnaissant envers les garçons avec qui on l’a obtenu et envers Daniel. Ce titre m’a permis de me réaliser professionnellement et il m’a sûrement aidé dans mon parcours. À titre personnel, je l’ai vécu comme une véritable récompense de tout le travail effectué depuis plusieurs années. Plus le temps passe et plus le mot Barjot était un raccourci des à-côtés du handball. Car si cette équipe a performé et a existé, c’est le fruit d’un immense travail avec de la souffrance et une charge que l’on pourrait presque qualifier de folie. L’équipe était très solide défensivement : lorsque je la regarde aujourd’hui, il fallait être sacrément téméraire pour y mettre la tête.

HGu